La séduction qu'exercent sur le public et la critique les héros troubles des séries américaines True Detective, Breaking Bad ou Orange is the new black montre que les personnages les plus intéressants sont aujourd'hui sur le petit écran, estime David Fincher, réalisateur à succès au cinéma.

Ces personnages -- détectives hors normes au fin fond de la Louisiane, professeur de chimie converti en trafiquant de drogue, jeune femme condamnée à la prison où elle retrouve son ancienne amante -- doivent inspirer Hollywood, déclarait récemment le cinéaste à Paris, à l'occasion de la sortie en France de Gone Girl, un thriller avec Ben Affleck arrivé en tête du box-office aux États-Unis.

«On appelle ça l'âge d'or de la télévision. Les gens (re)découvrent la télévision, car c'est là où se trouvent tous les personnages les plus intéressants», ajoute le cinéaste, qui a lui aussi tâté de la série, avec le très ambitieux --et très réussi-- House of cards, dont il a réalisé les deux premiers épisodes.

«Ce sont des personnages qui déclarent agir d'une certaine manière, mais qui, au fil du temps, évoluent dans une autre direction. On n'a pas ça dans un film sur grand écran», dont la durée dépasse rarement les deux heures, souligne-t-il.

Il y a peu de possibilités de réaliser autre chose que des films de «destruction» et «à grand spectacle», qui ont pour le moment la cote à Hollywood. C'est toujours «"je viens de détruire Chicago, maintenant c'est au tour de Toronto"».

Gone girl, thriller qui réduit en charpie un mariage en apparence modèle, a bénéficié d'un budget confortable de 50 millions de dollars, «preuve qu'on peut faire autre chose que des films avec des héros en combinaison de plastique», souligne le réalisateur, faisant allusion à la vogue des super-héros.

Mais pour la plupart des scénaristes et des réalisateurs, c'est à la télévision qu'on trouve la plus grande liberté créative, ajoute-t-il.

«C'est vraiment là où l'on peut prendre un personnage et le regarder de près, observer ce qui le fait agir. Et le bonus, c'est que vous ne dépensez pas vingt millions de dollars par heure, mais cinq millions seulement. Si vous êtes capables de travailler de manière plus intimiste, alors la télévision offre beaucoup d'opportunités».

Nuances et zones d'ombre

Les acteurs aussi regardent d'un oeil neuf le travail pour la télévision. «Les deux domaines se confondent alors qu'il y a dix ans, les acteurs disaient "je fais du cinéma, je ne veux pas faire de la télé"». «Mais je crois que maintenant les comédiens vont là où il y a de bonnes histoires».

Et si les séries télévisées à succès ont révélé de grands acteurs, devenus des vedettes à part entière, elles attirent également des acteurs de premier plan venus du cinéma. True Detective met ainsi en scène le tandem Matthew McConaughey (Oscar du meilleur acteur 2014) et Woody Harrelson.

David Fincher, 52 ans, n'est pas le seul, à Hollywood, à souligner la migration des talents du grand écran vers le petit. Au Festival de Cannes l'an dernier, le scénariste de Ma vie avec Liberace, Richard LaGravenese, estimait que la télévision permettait plus de subtilité que le cinéma.

Le téléfilm, produit par HBO, réunissait trois pointures de Hollywood: Steven Soderbergh à la réalisation et Michael Douglas et Matt Damon devant les caméras.

«La télévision, c'est là où un auteur peut réellement écrire. Vous pouvez avoir des épisodes dont la dynamique repose uniquement sur les personnages et leur caractère, qui font la part belle aux nuances et aux zones d'ombre propres à la condition humaine. On ne peut plus faire ça dans des films de cinéma», assurait le scénariste.