C'est Podz,le réalisateur de 19-2, qui nous a donné l'idée. Merci aux filles de 19-2, a-t-il lancé à la soirée des Gémeaux où la série a triomphé, en remportant un total de 13 prix. Les filles de 19-2, c'est toutes les travailleuses de l'ombre, les deux auteures, la monteuse, la directrice photo et la productrice, sans oublier la scripte, l'assistante du réalisateur, la maquilleuse et la costumière, qui ont ajouté un supplément d'âme et de sensibilité féminine à ce monde d'hommes. La plupart ont remporté un prix Gémeaux dans leur discipline, preuve que les filles de 19-2 ont indéniablement fait une différence.

Dire que la productrice Sophie Deschênes est arrivée dans l'histoire de 19-2 en pleine tourmente est un euphémisme. De fait, le torchon brûlait un peu partout, entre le diffuseur Radio-Canada et le producteur Pierre Beaudry, entre Claude Legault et Réal Bossé. Les choses allaient si mal que Legault venait de claquer la porte du projet, convaincu que la série ne verrait jamais le jour.

C'est dans ce contexte très tendu que Sophie Deschênes est entrée en scène, généreusement prêtée par Sovimage, la boîte de production pour laquelle elle travaille à temps plein.

«C'était spécial comme entente dans la mesure où j'allais travailler pour la compétition, contre ma propre boîte de prod, dit Sophie Deschênes. Mais Radio-Canada voulait un producteur senior et poussait beaucoup pour que je prenne la relève de Pierre Beaudry de Zingaro qui n'avait jamais produit une série de cette envergure. Ça faisait longtemps que je voulais travailler avec Podz et avec Joanne Arseneau aussi. J'adorais l'audace du projet et j'ai décidé de plonger.»

Le «oui» de Sophie Deschênes a été déterminant. Il a remis le projet de 19-2 sur les rails, provoqué le retour de Claude Legault et a incité Radio-Canada à donner le feu vert. Le plus gros du travail restait à faire, notamment adapter tous les épisodes, initialement prévus d'une durée de 30 minutes, pour qu'ils adoptent le format d'une émission d'une heure.

À hauteur d'homme

C'est ici qu'entre en scène la scénariste Joanne Arseneau, une fille qui, de son propre aveu, adore les histoires de police comme en témoignent 10-07, Tag et le scénario du film Le dernier souffle, trois oeuvres qui portent sa marque et sa fascination pour l'univers policier. Sachant cela, Claude Legault et Réal Bossé lui avaient présenté un an plus tôt le projet qui portait encore le titre rigolo de Deux boeufs. Voulait-elle écrire avec eux? Les gars étaient convaincus qu'elle dirait non. Elle a accepté d'emblée.

«Au départ, on a établi que la série porterait sur des patrouilleurs. Pas des enquêteurs, raconte Joanne Arseneau. On voulait être dans la rue, sur la première ligne, avec le vrai monde, à hauteur d'homme. Pour moi, c'était l'occasion rêvée d'explorer l'intimité masculine dans un milieu où les hommes portent un uniforme, où ils doivent être forts et où l'émotion n'a pas sa place. En fait, ce qui m'intéressait le plus, c'était de rendre compte d'une masculinité en péril à travers ces deux hommes blessés.»

En cours de route, une autre fille s'est jointe au trio d'auteurs. Pour avoir notamment écrit Le Négociateur, Danielle Dansereau était elle aussi familière avec le monde policier. Mais c'est autre chose qui l'a attirée au projet: «J'ai été séduite par ces deux personnages aux premières loges de la détresse humaine, pris pour explorer toutes les dimensions de l'humanité. J'aimais l'énergie des deux comédiens et le fait qu'on n'était plus dans l'univers traditionnel et cliché de la série policière, mais dans quelque chose de plus réel et forcément de plus profond.»

Deux sensibilités

Sans le charisme et l'intensité de Claude Legault, sans l'intériorité ombrageuse de Réal Bossé, 19-2 n'aurait probablement pas connu un aussi grand succès. Mais sans la sensibilité des femmes de l'équipe non plus. Podz est le premier à le reconnaître. «Ma vision du monde est assez froide, dit-il. Les femmes me groundent et m'humanisent. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai une soeur jumelle, mais j'aime beaucoup travailler avec les femmes.»

Lorsqu'on demande à Sophie Deschênes si les femmes ont fait la différence dans la réalisation de la série, elle sourit: «C'est drôle parce qu'on dit souvent de Joanne et Danielle qu'elles écrivent comme des gars, mais en oubliant d'ajouter: avec une sensibilité féminine. Les filles de 19-2, et je parle aussi bien de la monteuse que de la directrice photo, ont toutes un petit côté cow-boy, ce qui ne les empêche pas de ressentir les choses différemment des gars. C'est dans cette rencontre entre deux sensibilités, l'une féminine et l'autre masculine, que la série a peut-être trouvé son équilibre.»

Gestion d'émotions

Pour se préparer au tournage et se mettre dans l'ambiance, la directrice photo Claudine Sauvé a passé une nuit complète à faire de la patrouille. «J'ai compris bien des choses, dit-elle. Que les policiers sont tout le temps checkés, qu'ils travaillent sous pression, les calls rentrent, l'adrénaline monte. Ils ne savent pas ce qu'ils vont trouver. Des fois, ils arrivent trop tard. La culpabilité s'en mêle. Bref, c'est beaucoup d'émotions contradictoires à gérer en même temps.»

La première fois que Podz a discuté de la série avec sa directrice photo, il lui a fait écouter une pièce instrumentale lente et mélancolique. «Il m'a dit: c'est ça, la série. On a échangé des photos. On a parlé lumière. Moi, je voulais du blanc très éclairé pour la vie au poste et plus d'ombre dans la vie privée des policiers. Pour le reste, je me suis laissé transporter par le récit et par l'intensité des acteurs. À plusieurs reprises, je me suis mise à pleurer pendant les prises. C'était plus fort que moi.»

Accueil inespéré

À des lieues du plateau de tournage, les émotions des personnages étaient encore palpables sur l'écran dans la salle de montage de Valérie Héroux, monteuse de 19-2 et plus ancienne collaboratrice de Podz.

«Valérie, je travaille avec elle depuis toujours. Elle me comprend, je la comprends, on se comprend», dit Podz.

Jour après jour, avec le recul que donne la distance, mais sans jamais perdre son empathie, Valérie Héroux, a réécrit le rythme de 19-2. «Chaque projet a une difficulté qui lui est propre, raconte la monteuse de 38 ans. Dans le cas de 19-2, le défi, c'était de faire passer les plans plus longs, le silence et les ralentis sans que le public ne décroche. On avait le sentiment de travailler sur quelque chose de différent, mais on n'avait aucune idée comment ce serait accueilli.»

Sophie Deschênes espérait de tout coeur que 19-2 marche auprès du public. Elle y avait mis toutes ses énergies et tout son temps.

«Je n'ai jamais travaillé aussi fort de toute ma vie. J'ai tout vu, tout vécu et tout encaissé parce que je voulais à tout prix que ça marche. Je priais pour qu'on fasse 1 million, craignant en même temps qu'on n'y arrive pas. Mais 1,4 million, c'était au-delà de mes espérances.»

Depuis, Sophie Deschênes est rentrée au bercail. Elle ne sera pas de la suite de l'aventure. Idem pour Joanne Arseneau. Une dispute sur le partage des droits d'auteur a eu raison de sa collaboration avec les gars de 19-2. Qu'à cela ne tienne: Danielle Dansereau a repris le flambeau et a déjà écrit six nouveaux épisodes avec Legault et Bossé. La vie au poste 19, qui n'a jamais existé, va continuer, avec espérons-le, la même empathie et la même sensibilité.