«Être drôle, est-ce un manque de sérieux?», a ironisé hier Louise Richer, la directrice de l'École nationale de l'humour du Québec (ENH), en préambule du colloque «L'humour sens dessus dessous» organisé jusqu'à demain à l'UQAM par l'ENH et l'Observatoire de l'humour.

La réponse a semblé négative si l'on en juge par les débats vivifiants pour l'esprit qui surgissent de cet événement de réflexion qui réunit des humoristes, des universitaires, des membres de la communauté artistique et des citoyens intéressés par l'industrie de l'humour.

Enseignant en anthropologie au Cégep du Vieux Montréal, Steven Légaré a mis la table du colloque en situant l'humour du point de vue historique. Il a expliqué que l'humour existait avant l'arrivée même de l'écriture, notamment la faculté de jouer des tours aux autres, aussi ancienne que l'Homo sapiens.

L'humour caractérise les sociétés, a-t-il dit, et peut être transculturel, notamment avec la moquerie qui existe chez toutes les ethnies. L'humour n'est pas le propre de l'homme. Le chimpanzé pourrait appartenir à une espèce d'«Homo ridens», ces êtres qui rient.

Notion définie d'abord par les Anglais au XVIIe siècle, l'humour est rassembleur, a expliqué de son côté Jérôme Cotte, chercheur du département de philosophie de l'UdeM selon qui l'humour peut conduire à un sentiment de supériorité comme il peut permettre d'extérioriser nos frustrations.

Lors de l'atelier Humour, création et identité, M. Cotte a évoqué le fait que l'humour peut être dangereux quand il est pris au premier degré, notamment en ce qui a trait à l'humour ethnique.

«Avec le multiculturalisme, celui dont on se moque est plus proche qu'avant», a-t-il dit. Du coup, l'humour ethnique peut être violent et racial mais il peut aussi permettre la rencontre et la reconnaissance sociale de l'autre.

Il y a donc un flou délicat à trouver pour que le rire ne provoque pas la honte et la victimisation. Il a cité les dérapages de l'humour de masse qui renforcent les stéréotypes, mais aussi les blagues sexistes ou homophobes.

Si l'on peut rire de tout en usant du bon sens, le chercheur croit que l'humour est aussi une fenêtre pour tendre vers plus de tolérance et «le partage d'une vie commune».

Rectitude politique

La frontière entre l'acceptable et l'inacceptable a aussi été abordée lors d'une table ronde sur la rectitude politique en humour.

Est-ce que l'on peut rire de tout au Québec? Les participants ont semblé dire que oui quand l'humoriste a le talent pour faire comprendre à son public qu'il ne s'agit que d'humour.

«Ce n'est pas une époque facile pour les humoristes, a estimé l'ex-Cynique Marc Laurendeau. Les chartes protègent les minorités, donc vous risquez des représailles si c'est pris au premier degré. L'humour qui n'est pas rose est toujours vexatoire.»

Satire

La table ronde Au temps des Cyniques a justement permis de revenir sur ces pionniers de la satire politique et sociale qui ont marqué les années de la Révolution tranquille, à une époque où on a soudain toléré plus de liberté de parole après des décennies de rigueur morale.

Marc Laurendeau a rappelé le contexte exceptionnel qui a marqué l'émergence du quatuor d'humoristes.

«Il y avait un aspect libérateur à la mort de Duplessis et un espace comique à occuper. On voulait être plus direct et plus dru que les humoristes qui nous avaient précédés.»

Ayant visé le clergé et la classe politique, les Cyniques ont aussi été «effrontés» à l'égard des femmes, a fait remarquer Lucie Joubert, professeure à l'Université d'Ottawa.

L'humoriste Fred Dubé est intervenu pour faire remarquer que du temps des Cyniques, l'humour «était une contre-culture» alors qu'aujourd'hui l'humour est, selon lui, «au coeur de la culture».

«Ceux qui contrôlent l'humour ont intériorisé le système», a ajouté Fred Dubé.

Place dominante

Les participants au colloque ont évoqué la place dominante de l'humour au Québec.

Le professeur Jean-Marie Lafortune de l'UQAM a entrepris une recherche sur l'humour à la télévision francophone au Québec dont il a donné les premiers résultats.

Ceux-ci montrent que l'humour au sens large (depuis les spectacles d'humoristes aux galas en passant par les téléromans, les jeux et les émissions matinales) est présent dans 43% des émissions des quatre chaînes généralistes francophones (SRC, TVA, TQ et V) et pour 45% du temps de leur programmation totale.

«C'est une nouvelle spiritualité», a-t-il lancé, avant de citer l'historien néerlandais Huizinga en guise d'avertissement: «La civilisation naît du jeu mais la civilisation du jeu n'accouche de rien.»