L'esthétique et la philosophie de C! rca se résument en quelques mots: la valorisation de l'effort humain comme force créatrice. Discussion avec le directeur artistique de la compagnie: Yaron Lifschitz.

«Le cirque est un art authentique, commence par dire Yaron Lifschitz, au cours d'un entretien de Brisbane, où nous l'avons joint. Un art qui s'exprime par le rythme et la respiration des interprètes, dans un espace commun avec le public. Ces artistes sont vrais et vulnérables. C'est cela que nous cherchons à capter.»

Les pièces de C! rca sont ainsi réduites à leur plus simple expression: celle des corps qui occupent la scène. Ni costume ni maquillage. Encore moins de décor. «Tous les artistes de cirque répètent les mêmes mouvements dans une recherche de pureté et de liberté, précise le directeur artistique. Pourquoi masquer ce travail avec des technologies ou des costumes?»

Wunderkammer ne fait pas exception à ces principes. Créé au mois de septembre 2010 en Australie, ce ballet acrobatique et sensuel sans paroles a été construit autour d'un thème: le cabinet de curiosités.

Ces lieux insolites apparus en Europe aux XVIe et XVIIe siècles sont en fait les ancêtres des musées. On y retrouvait, pêle-mêle, des oeuvres d'art, des squelettes d'animaux, des insectes séchés, bref, toutes sortes d'objets hétéroclites collectionnés et exposés dans de grandes chambres d'aristocrates.

«Les objets de ces cabinets n'étaient pas classifiés, rappelle Yaron Lifschitz. Notre prémisse de départ était: si la scène est un cabinet (et les curiosités, les corps humains), qu'est-ce que nous pourrions trouver, qui n'a pas encore été classé? Par exemple, dans Wunderkammer, il y a un numéro de trapèze où un homme fait un striptease. Mais il enlève ses vêtements dans les moments les plus difficiles de son numéro. Sur une chanson d'amour, mais aussi pleine d'ironie...»

Bref, tout cela est fait pour dérouter le spectateur et la perception qu'il a de ce qu'il voit. «C'est drôle, habile et triste à la fois. On ne peut pas catégoriser le numéro: est-ce qu'il s'agit d'un numéro de trapèze avec une touche burlesque? Un numéro burlesque acrobatique? Est-ce qu'il s'agit d'une pièce musicale? Triste ou ironique? C'est un peu tout ça à la fois. Comme ces chambres de merveilles qui existaient à l'époque.»

Une autre déclinaison de ces cabinets de curiosités: pendant un numéro de striptease (encore!), des duos acrobatiques ont lieu juste derrière. «L'idée, encore une fois, est de déstabiliser le spectateur, de manière à ce qu'il se dise: qu'est-ce que je suis supposé regarder? Il y aura donc des numéros qui se produisent en même temps et d'autres, qui sont tellement imbriqués les uns dans les autres, qu'ils ne forment en vérité qu'une seule entité.»

La musique reflète également cet assemblage hétéroclite. On y retrouve plusieurs déclinaisons des fugues de Bach, qui structurent la pièce. Une version classique, une version punk-techno slovaque ainsi que les Variations Goldberg, qui ont des airs de tango. Les chansons populaires, elles sont toujours des covers. Une autre façon de saisir des interprétations, parfois étonnantes, d'une version originale.

«Au départ, je me disais que tout ce concept de cabinet, qui consiste à présenter des éléments qui ne sont pas ce que nous croyons qu'ils sont, était obscur, mais les gens comprennent. C'est accessible. Parce qu'ils n'ont pas à intellectualiser notre démarche. Ils n'ont qu'à choisir ce qu'ils préfèrent dans ce que nous leur offrons. Parfois c'est le numéro, parfois c'est la musique, parfois c'est l'expression de l'artiste, etc.»

Les sept interprètes présents à Montréal sont les plus expérimentés de l'ensemble C! rca, qui compte au total 14 performeurs. La troupe dirigée par Yaron Lifschitz s'est fait connaître ici en 2009, lors de la tournée de By The Light of Stars That Are No Longer, présentée à la TOHU. La pièce, beaucoup plus intimiste, était inspirée par la perte d'un être cher et mettait en scène cinq interprètes explorant le besoin de «s'accrocher».

Issus de plusieurs milieux, dont The Flying Fruitfly Circus, mais également des autodidactes, les artistes de C! rca travaillent avec Yaron Lifschitz depuis un peu plus de huit ans. «Il y a entre eux une importante complicité, et une bonne compréhension du langage de C! rca. Au-delà de leurs performances, ils ont une présence incroyable parce qu'ils croient profondément en ce qu'ils font. C'est ce qui les rend unique. C'est pour ça que nous sommes à Montréal.»

«Ce que j'aime dans le monde du cirque, conclut Yaron Lifschitz, anciennement acteur et metteur en scène de théâtre, c'est qu'on travaille avec des gens qu'on accompagne dans l'exécution de leur art, on ne leur dicte pas quoi faire. Il y a d'ailleurs plusieurs segments du spectacle où ils peuvent improviser leurs scènes, qui ne sont jamais tout à fait pareilles. Ces artistes-là sont très inspirants.»

Wunderkammer, du 7 au 16 juillet à la TOHU.