Quand le prestigieux magazine Musical America en a fait son artiste de l'année 2016 le mois dernier, Yannick Nézet-Séguin se trouvait un peu jeune pour recevoir pareil honneur. Il voyait dans ce prix, qui lui sera décerné le 8 décembre à Carnegie Hall, une reconnaissance pour l'ensemble d'une carrière que l'on accorde, par exemple, à un Riccardo Muti, pas à un chef de 40 ans.

«Je ne me voyais pas là, dit-il spontanément entre deux séances de travail pour la nouvelle production d'Elektra de Strauss, que prépare l'Opéra de Montréal. D'un autre côté, quand un chef reçoit ce prix, ça a une autre portée que pour n'importe quel autre artiste. Comme chef, on représente des institutions, mais surtout beaucoup de musiciens, que ce soit à Montréal, à Philadelphie ou à Rotterdam, mes trois orchestres. Aujourd'hui, on demande aux musiciens d'être des citoyens du monde, d'aller dans les écoles, de jouer dans de petits ensembles ou avec l'orchestre pour le pape à Philadelphie ou dans le port de Rotterdam. C'est l'ensemble de ces initiatives qu'on récompense par ce prix et je l'accepte comme un encouragement à continuer le type de travail que je fais avec mes trois orchestres.»

N'empêche, ce nouvel honneur lui ouvre des portes additionnelles, même si, reconnaît-il en riant, il pourrait difficilement être plus sollicité qu'il ne l'est déjà.

«Le Philadelphia Orchestra a été un grand déclencheur de ma notoriété, dit-il. Mais tant qu'on ne prouve pas ce qu'on est capable de faire...»

Avant l'arrivée de Nézet-Séguin à Philadelphie en 2012, l'orchestre membre du Big Five américain a traversé une période très difficile au cours de laquelle il s'est même placé sous la protection de la loi sur la faillite. Et tout récemment, la menace d'une grève a été écartée de justesse quand les musiciens ont signé un contrat d'un an. Mais, visiblement satisfaite de son jeune chef, l'institution a prolongé au début de l'année son contrat jusqu'en 2021-2022.

«Je pense que j'ai prouvé au cours des trois dernières années que j'étais le bon homme au bon moment, reprend Nézet-Séguin. Avec ça est venue une reconnaissance ou une sollicitation de ce que je peux imaginer de plus haut dans l'industrie. Mais pour moi, le défi reste d'équilibrer ma vie le mieux possible comme artiste.»

«Il faut donc que je fasse très peu d'opéras, poursuit le chef. Je fais Elektra ici à Montréal parce que c'est avec mon orchestre. Je peux être au Met à New York une fois par année et à Vienne de temps en temps. Mais je ne peux plus retourner à Londres, à Paris ou à la Scala: je n'ai pas le temps.»

La succession au Met

Le Metropolitan Opera de New York a eu du flair en s'attachant le chef québécois pour cinq ans en 2009, du jamais vu à l'époque. D'autres opéras se sont ajoutés en cours de route, si bien qu'il a du travail au Met jusqu'à au moins 2020.

À la mi-septembre, Nézet-Séguin a lancé la saison du Met avec l'Otello de Verdi, ce qui a relancé la rumeur faisant de lui l'éventuel successeur du directeur musical James Levine, dont les problèmes de santé récurrents sont bien connus.

«Non, on n'est pas rendus là», répond Nézet-Séguin quand on lui demande s'il a discuté sérieusement de cette possibilité avec la direction du Met. Puis il ajoute: «Pour l'instant, ils ont encore leur directeur musical et moi, de toute façon, je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit d'autre.»

N'empêche, son intérêt pour le Met est indéniable. Il affirme «sans hésiter» que c'est la plus grande maison d'opéra du monde et que les orchestres de Philadelphie et du Met sont les deux meilleurs en Amérique du Nord, auxquels il se dit chanceux d'être associé.

Après avoir donné dans l'opéra italien, la perspective de s'attaquer avec l'orchestre du Met à deux oeuvres allemandes au cours des deux prochaines saisons le réjouit au plus haut point.

La possibilité que Yannick Nézet-Séguin succède à James Levine, en poste depuis 1976, est plus vraisemblable depuis qu'il a annoncé qu'il abandonnerait la direction de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam en 2018. Mais d'autres institutions prestigieuses pourraient lui faire de l'oeil.

Il ne cache pas qu'il était très flatté, le printemps dernier, quand son nom a été mentionné parmi les successeurs potentiels de Simon Rattle à la tête de l'Orchestre philharmonique de Berlin, qu'il connaît bien. Mais il n'aurait probablement pas pu accepter ce mandat, qu'il aurait eu beaucoup de difficulté à conjuguer avec ses responsabilités à Philadelphie jusqu'en 2022.

«Si je veux diriger encore pendant 40 ou 50 ans, il ne faut pas que je sois trop pressé, ajoute-t-il. J'ai déjà gravi les échelons très rapidement et je préfère me concentrer sur de longues relations avec mes orchestres.»

Un meilleur équilibre à l'OM

Quoi qu'il advienne, Yannick Nézet-Séguin tient à conserver ses liens avec l'Orchestre Métropolitain (OM), une association qui vient tout juste d'être prolongée jusqu'en 2020-2022. L'OM, explique-t-il, est en train d'accroître et de diversifier ses présences et d'autres chefs comme Julian Kuerti et Andrei Feher peuvent mener à bien ses nouveaux projets.

Au terme de ce nouveau contrat, Yannick Nézet-Séguin aura, à 46 ans, dirigé l'OM pendant 21 de ses 40 années d'existence.

«C'est un peu vertigineux, reconnaît-il. Je ne veux pas non plus m'accrocher trop longtemps. Peut-être même que si l'Orchestre Métropolitain accroît beaucoup ses activités et que je ne suis pas aussi disponible, je pourrais garder ma relation avec lui mais peut-être pas comme directeur musical. Je pourrais devenir chef émérite, comme je vais l'être après 10 ans à Rotterdam.»

Il se trouve chanceux d'avoir des relations durables avec ses orchestres: «Il y a tellement de chicanes entre les orchestres et leurs chefs. C'est la pire chose et on en a eu un exemple à Montréal. C'était triste pour tout le monde, pour [Charles] Dutoit comme pour l'orchestre. La musique n'est qu'émotion et c'est normal que ça finisse mal parfois parce que c'est tellement à fleur de peau. Mais il [Charles Dutoit] revient l'année prochaine [dans le cadre de Montréal en lumière], Dieu merci!»

Une année bien remplie

PHILADELPHIE

Le 30 janvier, le Philadelphia Orchestra, membre du Big Five des orchestres américains, annonce que le contrat de son chef et directeur musical, Yannick Nézet-Séguin, en poste depuis 2012, est prolongé jusqu'en 2021-2022. Au printemps, l'orchestre fait sa première tournée européenne avec son jeune chef. Fin septembre, l'orchestre joue pour le pape François à Philadelphie.

ROTTERDAM

Le 5 mai, Yannick Nézet-Séguin annonce qu'il va abandonner son poste de chef et directeur musical de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam après 10 ans, en 2018. Il deviendra par la suite chef émérite de l'orchestre néerlandais.

BERLIN

Le 11 mai, les 124 musiciens du Philharmonique de Berlin se réunissent pour élire le chef qui succédera à Simon Rattle en 2018, mais ils ne peuvent s'entendre sur un nom. Parmi les prétendants, on mentionne Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel et Yannick Nézet-Séguin, qui a beaucoup travaillé avec l'orchestre. Finalement, c'est le 21 juin que les musiciens se prononceront pour le Russe Kirill Petrenko.

QUÉBEC

Le 16 juin, Yannick Nézet-Séguin est nommé officier de l'Ordre national du Québec.

MONTRÉAL

Le 16 septembre, l'Orchestre Métropolitain annonce que le contrat de son directeur artistique et chef principal, Yannick Nézet-Séguin, est prolongé pour six ans jusqu'en 2020-2021. L'orchestre montréalais célébrera alors son 40e anniversaire et Nézet-Séguin aura été à sa tête pendant 21 ans.

NEW YORK

Le 30 septembre, le New Yorker écrit que Yannick Nézet-Séguin est pressenti pour succéder au directeur artistique de l'orchestre du Metropolitan Opera de New York, James Levine, aux prises avec des problèmes de santé récurrents. Le chef québécois travaille au Met à raison d'un opéra par année depuis 2009 et l'institution a retenu ses services jusqu'en 2020. Le 21 septembre dernier, c'est lui qui a lancé la saison du Met avec l'Otello de Verdi.

AMÉRIQUE

Le 15 octobre, le magazine Musical America, la bible du l'industrie de la musique classique, nomme Yannick Nézet-Séguin artiste de l'année 2016. Le chef québécois recevra ce prix prestigieux le 8 décembre au cours d'une cérémonie à Carnegie Hall.

L'ÉVÉNEMENT ELEKTRA

La dernière fois que Yannick Nézet-Séguin a dirigé l'Orchestre Métropolitain à l'Opéra de Montréal, c'était il y a quatre ans, dans Salomé de Richard Strauss. Samedi prochain, il s'attaquera à un autre opéra du même Strauss: Elektra.

«Certains disent qu'Elektra, c'est comme Salomé sur les stéroïdes, lance le chef dans un grand sourire. C'est encore plus imposant: l'orchestre est plus gros, l'écriture est plus complexe et les personnages, plus tordus! Même si j'ai fait Salomé quelques fois et beaucoup de Strauss, il y a comme une barrière de langage au début. Il faut se laisser le temps d'en trouver les clés, mais une fois qu'on les a, ça va.»

Cette nouvelle production de l'Opéra de Montréal, mise en scène par Alain Gauthier, tient de l'événement. Si l'on fait exception de la version concert qu'en a proposée l'Orchestre symphonique de Montréal en mai 2001, l'oeuvre de Strauss n'a pas été vue ici depuis que l'Opéra de Vienne - avec Birgit Nilsson dans le rôle-titre et Karl Böhm au pupitre - l'a présentée à Wilfrid-Pelletier pendant Expo 67. Le directeur artistique actuel de l'Opéra de Montréal, Michel Beaulac, y a assisté. «Je pense que ça vient un peu de là, son rêve de monter un jour Elektra à l'Opéra de Montréal», glisse le maestro.

Au risque de passer pour un hérétique, Nézet-Séguin affirme qu'Elektra, tout comme Salomé, pourrait se passer des voix et que les musiques se tiendraient parfaitement sur le plan symphonique: «Ça ne veut pas dire que l'écriture vocale n'est pas extraordinaire, mais ce sont des trames symphoniques d'une richesse, d'une complexité, d'une perfection...»

Surfer sur la musique

Elektra est un défi tout aussi formidable pour les chanteurs, qui doivent se donner à la limite de leurs possibilités, reconnaît le chef. «Le chanteur doit savoir surfer sur les vagues de l'orchestre. Ça prend énormément de technique et de force parce qu'il ne s'agit pas de dominer la mer, mais d'être parfois au-dessus de la vague et parfois englouti par elle.»

Les chanteurs qu'ont réunis Beaulac et Nézet-Séguin ont tissé au fil des ans des liens entre eux et avec l'Opéra de Montréal ou le maestro. Nézet-Séguin avait été «renversé» par la performance de Lise Lindstom (Électre) au Gala de l'Opéra en 2004, et il l'a côtoyée depuis dans Turandot à Amsterdam. Il a également travaillé à Londres avec Agnes Zwierko, qui jouera Clytemnestre, et Nicola Beller Carbone, qui défendait le rôle-titre dans Salomé en 2011, à Montréal.

Si on ne monte pas plus souvent Elektra, c'est parce que cet opéra exige des voix rares, explique le chef: «Il y a peut-être trois chanteuses dans le monde en même temps qui peuvent faire Électre. Ça veut dire qu'elles ne sont pas nécessairement libres et qu'elles coûtent cher.»

Cet opéra hors normes aura pour tout décor une statue gigantesque d'Agamemnon, le héros assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant Égisthe et dont la fille Électre cherchera à venger la mort. Nézet-Séguin lance en riant que si cet Agamemnon accroupi créé par l'artiste et scénographe Victor Ochoa se dépliait, il pourrait presque toucher le plafond de la salle Wilfrid-Pelletier.

«L'utilisation de cette statue est absolument géniale, ce n'est pas uniquement un décor, ajoute le chef. Mais je ne vous en dis pas plus.»

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À Wilfrid-Pelletier les 21, 24, 26 et 28 novembre.

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