Lancée dans une course au patriotisme, la Russie cherche à rapatrier les restes du compositeur Sergueï Rachmaninov inhumé en 1943 aux États-Unis, mais se heurte à l'opposition des descendants du grand compositeur qui avait fui la Russie après la révolution bolchévique.

«À en croire les sources américaines, Sergueï Rachmaninov est un grand compositeur américain d'origine russe», a dénoncé récemment le ministre russe de la Culture, Vladimir Medinski, en accusant les États-Unis d'«avoir privatisé présomptueusement le nom de Rachmaninov», qui avait obtenu la nationalité américaine peu avant sa mort.

Le ministre, qui a fait du patriotisme culturel son credo, a appelé au rapatriement des restes de ce grand compositeur et pianiste du 20e siècle en martelant que la tombe de Rachmaninov dans le cimetière Kensico, près de New York, était dans un «état déplorable».

«Cela serait une affaire de grande importance de faire revenir Rachmaninov en Russie», a-t-il souligné lors d'un déplacement à Novgorod, région natale du compositeur.

C'est dans cette région, où Rachmaninov avait passé les premières années de sa vie, que M. Medinski propose de l'inhumer.

Pour sa part, un vice-gouverneur de la région de Novgorod, Alexandre Smirnov, a affirmé, selon l'agence de presse publique TASS, que des diplomates russes étaient déjà en négociations officieuses sur ce sujet avec la partie américaine.

L'idée a été saluée par la télévision publique russe qui a aussitôt rappelé le rapatriement en Russie d'autres grandes personnalités de la culture russe, parmi lesquelles le chanteur Fedor Chaliapine dont les restes avaient été inhumés à Moscou dans les années 1980, après avoir été transférés de Paris.

«Spectacle patriotique»

«L'héritage, l'âme et le talent de Rachmaninov appartiennent à la Russie, il l'a dit lui-même à plusieurs reprises», rappelle pour sa part le pianiste Denis Matsouïev, directeur artistique de la Fondation Rachmaninov.

Mais pour parler d'un éventuel rapatriement du compositeur, qui repose aux États-Unis aux côtés de son épouse et sa fille, «il faut avant tout obtenir l'autorisation de ses descendants», insiste-t-il en appelant à ne pas se lancer dans des «spéculations» politiques.

«Nous n'envisageons pas d'aller contre sa volonté», a déclaré à la BBC l'une de ses arrière-petites-filles, Susan Wanamaker, en affirmant que le musicien avait indiqué dans son testament vouloir être inhumé à New York.

L'idée du rapatriement, qui semble sortir de nulle part, s'explique plus par des considérations politiques que par un intérêt soudain porté au compositeur, assure le critique musical Sergueï Khodnev, qui écrit pour le quotidien Kommersant.

«L'intention est peut-être de reprendre Rachmaninov aux États-Unis, puisque dans la mentalité américaine il est aussi l'un des leurs» et a été influencé par le jazz américain, a-t-il déclaré à l'AFP.

Alors que Vladimir Poutine joue sur la corde patriotique depuis son retour au Kremlin en 2012, «il y a une nécessité politique de donner un nouveau spectacle patriotique, un événement triste mais triomphal pour relancer l'esprit national», estime M. Khodnev.

Issu d'une famille aristocrate, M. Rachmaninov était largement considéré dans son pays comme un traître à l'époque soviétique pour avoir fui la Russie dans la foulée de la Révolution de 1917, même s'il a envoyé de l'argent pour soutenir l'Armée rouge lors de la Seconde Guerre mondiale.

La Russie négocie également depuis plusieurs années le rachat de la villa Senar, demeure suisse de Sergueï Rachmaninov qu'il avait fait construire dans les années 1930, avant de quitter le continent européen et de s'installer aux États-Unis.

Le ministre russe de la Culture a cependant accusé l'année dernière les descendants du compositeur d'avoir fait échouer la transaction en vendant séparément les objets précieux ayant appartenu à Sergueï Rachmaninov, parmi lesquels son grand piano.