Le temple de Dagon, la demeure de Dalila, la prison de Gaza : tout cela a disparu pour faire place à un vaste plateau triangulaire derrière lequel s'élève un mur de panneaux mobiles. Ce très froid dispositif reçoit des éclairages variables, le plus souvent sombres et même trop sombres, qui se veulent en accord avec le déroulement de l'action. Au tableau final, le mur de panneaux est tourné vers la salle et découvre neuf étranges masses verticales. Que des mouvements de danse moderne y soient projetés pendant la Bacchanale, passe encore. Mais pour ce qui concerne l'effondrement tant attendu des fameuses colonnes du temple, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on l'attend encore...

C'est au milieu de cette quasi-nudité scénique, assortie d'une quasi-nullité de mise en scène, que se déroulent les trois heures (deux entractes compris) de Samson et Dalila. On connaît le sujet. L'Opéra de Montréal le connaît-il aussi bien? Pas sûr. Dans les premières lignes du programme, on lit ceci : «Le peuple hébreu, sous l'emprise des Philistins, déplore son triste destin. Samson, leur chef...» On s'arrête : en français élémentaire, cela veut dire que Samson est le chef des Philistins... alors qu'il est le chef des Hébreux!

À l'OdM, Samson est un Allemand : Endrik Wottrich. On l'y avait entendu dans un Wagner, Der fliegende Holländer, en 2012. Peu impressionnant comme chef d'un peuple, sans réelle passion devant Dalila et trop uniformément larmoyant dans la scène de la prison, il retient pourtant l'attention par deux qualités : la puissance et la fermeté de son aigu et l'excellence de son français.

Marie-Nicole Lemieux en Dalila et le fait qu'elle aborde le rôle pour la première fois : les deux éléments ont certainement compté dans l'«absolument complet» que l'OdM affiche pour les quatre représentations. De la dernière rangée de la corbeille, la plantureuse chanteuse paraît amincie; il est vrai que cette Dalila est plus habillée que le veut la tradition. La voix est riche, comme toujours, mais projetée inégalement, par coups, sans souci de la grande ligne, et le jeu reste assez primaire. La grande scène de séduction, qui contient l'air célèbre Mon coeur s'ouvre à ta voix et culmine sur la capture de Samson, est musicalement et dramatiquement le seul moment vraiment convaincant de toute la soirée.

Le baryton canadien Gregory Dahl est solide à tous égards en brutal Grand-prêtre de Dagon. Le Vieillard hébreu est remarquable, l'Abimélech est faible. Représentant tantôt les Philistins, tantôt les Hébreux, le choeur est partout très agissant. Les costumes sont ordinaires, le début du spectacle est d'une lenteur mortelle et la direction d'orchestre n'a rien pour inspirer un OSM qui sonne moins bien que l'OM, dont c'est habituellement la place dans la fosse d'opéra.

Présents à la première, samedi soir, le maire Denis Coderre et la ministre Hélène David ont pris la parole. Le maire a parlé de «Saint-Sinsse», ce qui a provoqué un certain rire dans la salle.

SAMSON ET DALILA, opéra en trois actes (quatre tableaux), livret de Ferdinand Lemaire, musique de Camille Saint-Saëns (1877). Production : Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations : 27, 29 et 31 janvier, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution :

Samson, chef des Hébreux : Endrik Wottrich, ténor

Dalila, courtisane philistine : Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano

Le Grand-prêtre de Dagon : Gregory Dahl, baryton

Abimélech, satrape de Gaza : Philip Kalmanovitch, baryton

Le Vieillard hébreu : Alain Coulombe, basse

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Mise en scène : Alain Gauthier

Décors : Anick La Bissonnière et Éric Olivier Lacroix

Costumes : Dominique Guindon

Éclairages : Éric W. Champoux

Vidéographie : Circo de Bakuza

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Symphonique de Montréal

Direction musicale : Jean-Marie Zeitouni