James Ehnes ouvrait hier la 123e saison du LMMC et, du même coup, toute la saison musicale. Invité une cinquième fois au Club, le violoniste manitobain de 38 ans y faisait de nouveau salle comble: 600 personnes l'ont écouté dans un silence quasi absolu, puis ovationné longuement.

Toujours aussi sobre dans sa présentation et toujours aussi sérieux devant la musique qu'il a entre les mains, Ehnes a donné un récital d'une très belle tenue. J'ai des réserves et, comme c'est souvent le cas chez Ehnes, le programme est en cause. Et cette fois, il s'agit non seulement de certaines oeuvres mais du voisinage malsain causé par l'une d'entre elles, et dont souffrirent violoniste et auditeurs.

Je veux parler de cette incroyable platitude intitulée Beyond Time, que Ehnes nous a imposée avant la grande Sonate op. 108 de Brahms. Cette chose signée Alexina Louie est un ramassis de petits effets violonistiques des plus insignifiants. Cette Asiatique de Vancouver (d'ailleurs présente au concert) compose beaucoup et compose toujours, mais n'a rien à dire. Après ces 18 minutes abrutissantes, il était impossible pour Ehnes de se concentrer pleinement sur son Brahms, d'où cette lecture routinière dont seul le finale «agitato» laissa quelque impression. J'irais jusqu'à dire que son pianiste ne fit rien pour l'inspirer. À aucun moment on n'assista à un véritable dialogue.

D'ailleurs, pourquoi toujours jouer les mêmes pièces? Le répertoire pour violon et piano est très riche et très vaste. Encore faut-il le connaître... Ehnes aurait programmé, par exemple, la magistrale deuxième Sonate de Busoni et la salle aurait été aussi remplie, parce qu'il y avait son nom sur l'affiche!

Il ouvrait son programme avec le fameux Trille du diable de Tartini, triptyque très virtuose et très superficiel auquel il conféra une certaine expression, mais où il connut aussi quelques légers problèmes. Suivait, et toujours de mémoire, la troisième et dernière Sonate pour violon seul de Bach. Avant le concert, j'écoutais son enregistrement, réalisé dans le cadre de son intégrale Bach de 1999-2000. La perfection, cet enregistrement. Ce n'est plus tout à fait la même chose «en personne». On écoute le même très beau Stradivarius de 1715, mais les doubles cordes n'ont plus la même absolue netteté, la ligne n'est plus aussi extraordinairement soutenue. Bref, il faut attendre le finale aux deux reprises pour retrouver ce grand souffle qui emporte tout. Attendre...

Avant de quitter la scène, Ehnes annonça Airs populaires roumains de Bartok, sans préciser davantage.

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JAMES EHNES, violoniste, et ANDREW ARMSTRONG, pianiste. Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.

Programme:

Sonate en sol mineur (Il Trillo del diavolo) (1713) - Tartini

Sonate no 3, en do majeur, pour violon seul, BWV 1005 (c. 1720) - Bach

Beyond Time (2013) - Louie Sonate no 3, en ré mineur, op. 108 (1888) - Brahms