Âgé de 39 ans, Jean-Marie Zeitouni est parfaitement représentatif de cette génération montante de maestros ouverts au corpus intégral de la musique occidentale: «du baroque à hier», sans compter les musiques populaires de création. Le chef de l'ensemble I Musici de Montréal se dit «maniaque du phénomène sonore», rien de moins.

«Pour moi, la partition d'une oeuvre devient une carte topographique en trois dimensions. Bien au-delà du texte, je m'intéresse aux notions de texture, dissonance, résonance, finesse, enfin, toutes les dimensions relatives au phénomène sonore. Quand je dirige, je m'applique à exprimer la géographie entière d'une oeuvre.»

Hormis l'ensemble I Musici avec lequel il est associé depuis 2011, le musicien sera directeur musical du Columbus Symphony Orchestra jusqu'à la fin de cette saison, en plus d'être invité régulièrement par les orchestres canadiens, par plusieurs orchestres américains (en excluant ceux du big five), sans compter le Hong Kong Philharmonic, l'Opéra de Marseille et l'Opéra du Théâtre du Capitole de Toulouse.

Né à Montréal d'un père égyptien et d'une mère québécoise de souche franco-belge, Jean-Marie Zeitouni a grandi dans le quartier La Petite Patrie. «Ma mère me sensibilisait à la musique classique et, lorsque je descendais au sous-sol, j'écoutais les transes d'Oum Kalthoum que faisait jouer mon père», raconte cet homme issu de la classe moyenne, qui peut parler la langue de la rue sans forcer. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de l'association récente de l'ensemble I Musici de Montréal aux spectacles de Jorane et de DJ Champion, et bientôt celui de Daniel Bélanger.

École publique

Enfant de l'école publique, il a fait son cours élémentaire à l'école Le Plateau, puis son secondaire à Joseph-François-Perrault. Au Conservatoire de musique de Montréal, il a fait trois maîtrises: percussion, écriture de la musique et direction d'orchestre. Il a ensuite peaufiné ses connaissances en direction au Conservatoire supérieur de Lyon et à l'Académie de musique de Vienne.

Bardé de ces diplômes, Zeitouni a longuement collaboré aux institutions musicales de la capitale québécoise où il a vécu cinq ans, soit de 2002 à 2007; il y a été chargé de cours à l'Université Laval, chef de choeur à l'Orchestre symphonique de Québec, chef de choeur et chef assistant à l'Opéra de Québec et, surtout, membre des Violons du Roy où il a occupé les rôles de chef assistant, chef associé et premier chef invité. «Je suis un boulimique», résume-t-il. On ne le contredira point!

«Lorsque j'ai reçu l'offre d'I Musici, poursuit l'interviewé, j'ai dû quitter Les Violons du Roy car ce sont deux ensembles de musique de chambre et le montréalais voulait m'avoir pour lui seul. Lorsque les musiciens et le conseil d'administration d'I Musici m'ont joint, il leur fallait prendre cette décision: que l'ensemble meure avec feu monsieur Turovsky, alors très malade, ou qu'il survive à son fondateur. Autant ils aimaient leur chef, autant ils auraient voulu continuer avec lui, autant ils réalisaient que ça n'avait plus de sens.

«Russes issus de familles juives dans le contexte soviétique, Yuli Turovsky et sa femme [Eleonora Leonova-Turovsky, violoniste au sein de l'ensemble] avaient cette attitude de combattants qui les empêchaient de décrocher. Le chef a finalement accepté la transition à la fin de l'été 2011. Peu après, sa femme est morte d'un cancer. Lui, quelques mois plus tard. Encore aujourd'hui, le groupe est déstabilisé par la disparition de ses figures paternelle et maternelle. C'est difficile pour les musiciens, ils sont néanmoins très contents de poursuivre l'expérience.»

Enregistrements

Pour mieux comprendre dans quoi il se lançait, JeanMarie Zeitouni a étudié rigoureusement les enregistrements d'I Musici et de Yuli Turovsky - Trio Borodine, etc.

«Son jeu brillant au violoncelle, sa forte personnalité d'interprète déteignaient sur toutes les oeuvres que son ensemble abordait. Il s'adaptait au répertoire, mais cela restait du Turovsky. Cela n'aurait pas toujours été mon choix éditorial dans l'esthétique de l'affaire, mais cela demeurait de la haute virtuosité. Quelques fois, ça m'a mis sur le cul! Je ne voulais pas perdre ça en prenant la direction de son ensemble.»

«Je veux en préserver la chaleur, la force rythmique, l'attaque des cordes, le jeu plein son, la palette d'intensité. Et je veux surtout éviter que les cordes deviennent génériques. Or, étant surtout percussionniste même si j'ai joué des cordes, ma façon de faire ne provient pas de mon jeu dans le contexte d'I Musici. J'écoute ce qu'ils font et ils essaient de réaliser ce que je leur demande.»

Géographie

Pour exprimer «la géographie entière d'une oeuvre», Zeitouni s'impose une préparation.

«Lorsqu'il est question de musique baroque, par exemple, je veux la rendre comme ceux qui en font à temps plein. Pareil pour la musique romantique, pareil pour tous styles, toutes époques. C'est pourquoi je me tiens à jour sur les recherches musicologiques liées à nos interprétations.»

«Dans cette optique, les musiciens doivent fournir plusieurs efforts pour désapprendre certains aspects de leur jeu inscrits dans leur inconscient. À ce titre, ils restent très cool; ce sont des artistes de grande expérience, ils n'ont pas l'ego mal placé. Avec eux, je fais un travail de profondeur, nous visons la recréation complète de ce fleuron de la musique québécoise et canadienne. Et, au-delà de l'esthétique, il y a l'expérience humaine. Je suis là pour leur donner une motivation, une confiance, car ce sont eux qui interagissent avec le public. Ils sont plus importants que les gestes et les mimiques de leur chef.»

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Le dimanche 22 décembre, 15 h, à la Maison symphonique de Montréal, I Musici de Montréal présente son concert de Noël: Et paix sur la terre!.