La bonne musique n'a pas besoin d'images et la bonne peinture n'a pas besoin du secours des sons. C'est l'évidence même. Kent Nagano ne pense pas ainsi, ce qui ne surprendra personne. Passe encore qu'il ait commandé à trois compositeurs canadiens autant de pièces, d'environ cinq minutes chacune, inspirées par des toiles de peintres d'ici, et qu'il les fasse jouer à la queue leu leu par l'OSM pendant que les toiles sont projetées sur grand écran. L'idée, en soi, n'est pas sans originalité; elle illustre d'ailleurs l'importance de la collection canadienne du Musée des beaux-arts, d'où proviennent ces toiles.

Mais on ne s'explique pas pourquoi la fameuse suite pianistique Tableaux d'une exposition de Moussorgsky, telle qu'orchestrée par Ravel, est accompagnée sur le même écran par des projections d'autres tableaux canadiens sans lien avec les sujets. Il eût été tellement plus logique et plus instructif de recourir aux tableaux, dessins et esquisses de Viktor Hartmann qui inspirèrent Moussorgsky et qui existent dans les archives.

Les Promenades qui décrivent le visiteur passant d'un tableau à un autre sont représentées sur écran par un simple paysage. Pour Il vecchio castello: pas de château... mais un autre paysage. Pour le Ballet des poussins dans leurs coques: une gouache de Borduas, plutôt comique, il est vrai. Limoges: le marché est devenu l'angle Peel et Sainte-Catherine vers 1948. On croit rêver. De la Grande Porte de Kiev, il ne reste rien. À la place: quelque chose qui ressemble à un vieux parchemin jauni.

Concernant l'exécution: du bon travail, l'orchestre ayant joué cette musique un nombre incalculable de fois. Mais on se passerait volontiers du retentissant couac de Monsieur la trompette au début de la troisième Promenade et des crevaisons que subit le lourd chariot à boeufs de Bydlo.

L'OSM va reprendre les Tableaux demain soir à Lac-Mégantic. Souhaitons que tout soit alors réparé: ces pauvres gens ont connu suffisamment d'épreuves!

Les trois pièces nouvelles, du Montréalais Simon Bertrand et des Torontois Scott Good et Jeffrey Ryan, sont jouées dans cet ordre. Celle de M. Good est paisible, colorée d'un beau solo de cor-anglais, pleine d'atmosphère aussi, comme le tableau qui l'a inspirée. Les deux autres sont du genre bruyant comme il s'en écrit à la tonne. Les trois compositeurs sont venus saluer sur scène.

La rare Symphonie no 59 de Haydn - dite «du Feu», pour des raisons obscures - ne compte pas parmi les plus intéressantes des 100 et quelques du compositeur. Nagano y obtient cependant de belles nuances et toute la précision voulue dans le jeu très serré des cordes.

Pour la énième fois, la soliste est la violoniste allemande Viviane Hagner. On ne comprend pas cet intérêt que lui porte Nagano. Ici encore, c'est surtout l'orchestre qu'on écoute: sons éthérés du plus bel effet au premier mouvement, jeu vif et coloré par la suite. Chez la violoniste: des trilles exacts, mais un manque de solidité dans les traits périlleux et une absence totale de caractère. Bref, une exécution très inférieure à celle que la géniale Hilary Hahn nous donnait du même concerto l'an dernier.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre: Kent Nagano. Soliste: Viviane Hagner, violoniste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts; reprise auj., 10 h 30 et 20 h.

Programme :

Symphonie no 59, en la majeur, Hob. I : 59 (Feuer-Symphonie) (c. 1768) - Haydn

Gravité - Bertrand; Evening, North Shore, Lake Superior - Good; Moving, Still - Ryan (créations)

Concerto pour violon et orchestre no 1, en ré majeur, op. 19 (1917) - Prokofiev

Tableaux d'une exposition (1874) - Moussorgsky, orchestration: Ravel (1922)