C'est ce soir, 20h, à l'Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette, dans le cadre du Festival de Lanaudière, qu'Alain Lefèvre fera la création des 24 Préludes que François Dompierre a écrits pour lui.

Création annoncée pour l'an dernier et reportée à cette année, on s'en souvient, en raison de ce que Lefèvre appelle «la difficulté colossale et absolument monstrueuse» de la nouvelle oeuvre.

«Sans nul doute, dit-il, c'est la plus grande oeuvre que Dompierre ait écrite. Il y a mis toute sa science de l'écriture pianistique. Dans le style et dans le genre, nous sommes devant une oeuvre majeure du répertoire pour piano.»

Lefèvre considère-t-il donc ces Préludes égaux aux 24 de Chopin, aux 24 de Debussy et aux 24 de Rachmaninov? Hésitation. «Les Préludes de Chopin sont un joyau unique et difficilement égalable. Mais, au niveau de l'inspiration, c'est très facilement égal aux Préludes de Rachmaninov et de Debussy.»

Mis au fait que son interprète ne tarit pas d'éloges sur cette oeuvre qui lui a demandé cinq ans de travail, Dompierre observe: «Il faut faire attention. Alain a tendance à exagérer...» On verra ce soir lequel des deux a raison.

Revenons à la «difficulté» dont parle Lefèvre. «Elle est d'abord d'ordre rythmique. Le pianiste est constamment interpellé par des rythmes de jazz, des rythmes de blues, des rythmes nord-américains et, en même temps, l'écriture reste toujours extrêmement limpide, d'une clarté à la fois française et mozartienne.»

Le titre complet du recueil est 24 Préludes en forme de boogie et de bien d'autres choses encore... et chacun porte un qualificatif: frénétique, tranquille, excentrique, mécanique, provocateur, etc. Comme chez Bach, les 24 Préludes sont dans les 24 tonalités majeures et mineures de la gamme chromatique: do majeur, do mineur, do dièse majeur, do dièse mineur, etc. Lefèvre explique encore: «Parce que c'est tonal, l'auditoire, s'il a de l'oreille, saura s'il y a une fausse note ou pas.»

Y a-t-il des mélodies? «Oui, dans chacun des préludes. Parfois, cela est plus présent dans certains que dans d'autres.» Lefèvre souligne aussi l'«absence de sensiblerie» dans cette musique. «Chez Rachmaninov, chez Mathieu, les grandes lignes mélodiques s'apitoient; il y a une espèce de confort dans la phrase. Au contraire, Dompierre conserve toujours une immense pudeur. Il n'y a jamais chez lui l'épanchement romantique d'une certaine école. Il ne dit jamais «Je t'aime». En ce sens, il rappelle Ravel. La mélodie est toujours là, mais le pianiste n'a pas le droit de s'émouvoir ou d'être ému par la mélodie qu'il joue.»

Par prudence, Lefèvre jouera avec la partition. Durée d'exécution: entre 70 et 75 minutes. On prévoit un entracte. Dans les jours qui suivront, Lefèvre enregistrera l'oeuvre, pour Analekta. Il l'a aussi inscrite à ses programmes de récitals pour les trois prochaines années aux États-Unis, en Europe et en Asie. Il célébrera ses 50 ans le 23 juillet... en Grèce, où il prendra des vacances, et s'attaquera ensuite au Concerto que Walter Boudreau a aussi écrit pour lui.