La mode se répand: des musiciens connus comme solistes décident, pour toutes sortes de raisons, de devenir chefs d'orchestre. Il s'agit en général d'instrumentistes, mais au moins un chanteur, le baryton Dietrich Fischer-Dieskau, s'est aussi aventuré sur ce terrain dangereux. Ce qu'apportent au monde musical ces chefs plus ou moins improvisés est rarement important et, bien souvent, le virage se ramène à un numéro comique, comme celui que nous donna M. Perlman il n'y a pas si longtemps.

À 34 ans, un autre violoniste, Maxim Vengerov, laisse tomber l'archet pour prendre la baguette. L'OSM le présentait comme chef mardi soir et son nom avait, comme on pense bien, attiré une salle comble. Allions-nous retrouver un autre de ces maestros du dimanche - ou plutôt du mardi? Tous les doutes étaient permis. La surprise fut assez considérable.

 

Vengerov avait choisi comme pièce de résistance une oeuvre avec laquelle il a grandi, la Pathétique de Tchaïkovsky, qui totalisait près d'une heure après l'entracte. Il la dirigea de mémoire, ce qui indiquait qu'il la possédait parfaitement. Avant tout, et malgré une gestuelle assez peu orthodoxe, il obtint de l'orchestre une interprétation pleine d'idées intéressantes qui tint l'auditoire en suspens et lui valut une vibrante ovation.

La Pathétique est une oeuvre lugubre et tumultueuse et Vengerov la traduit ainsi. Il scrute les profondeurs de l'orchestre, s'attarde sur les silences interrogatifs, souligne les contrastes dramatiques comme l'énorme fortissimo qui, au développement du premier mouvement, explose sur la petite phrase en quatre puis en six «piano» de la clarinette et du basson.

Le troisième mouvement se termine avec grand fracas et une partie de la salle applaudit car l'oeuvre pourrait s'arrêter là. Tchaïkovsky n'a pas tout dit et finit audacieusement sur un mouvement lent. «Adagio lamentoso», dit la partition. La tentation, ici, est de tomber dans le pathos. Vengerov choisit la pudeur et l'émotion qu'il fait naître n'en est que plus vraie. C'est peut-être là, plus encore que dans tout ce qui précédait, que Maxim Vengerov s'est révélé un chef d'orchestre authentique que nous retrouverons avec plaisir.

On peut oublier la première heure. Cela commence par les souhaits de «bon concert» et autres messages, au micro. Deux premiers-pupitres de l'orchestre, le très jeune violoniste Andrew Wan et le violoncelliste Brian Manker, jouent ensuite le Double concerto de Brahms. Wan joue habituellement assis; debout, il gesticule comme un petit diable et est très énervant à voir. Mais il joue bien, après trop de rubato à son entrée. L'aîné Manker, assis au violoncelle, montre plus d'assurance, plus d'expérience aussi. Leur dialogue est appliqué, Vengerov les suit attentivement et donne du relief aux vents, mais l'exercice ne passe guère la rampe.

____________________________________________________________________________________________

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Maxim Vengerov. Solistes: Andrew Wan, violoniste, et Brian Manker, violoncelliste. Mardi soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Série «Grands Concerts» (le concert était repris hier soir). Programme: Concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur, op. 102 (1887) -Brahms; Symphonie no 6, en si mineur, op. 74 (Pathétique) (1893) -Tchaïkovsky