Le spectacle que Jorane présentera à la Cinquième Salle de la Place des Arts le 28 février et le 1er mars n'est pas l'aboutissement, mais plutôt la première étape d'un processus de création qui devrait durer des années. La compositrice-musicienne-chanteuse nous a parlé du long voyage dans lequel elle vient de s'embarquer.

Un après-midi de janvier, dans une pièce sans fenêtres située dans le troisième sous-sol de la Place des Arts. Dans la pénombre, Jorane joue du violoncelle, chante et dirige une bonne dizaine de musiciens et de chanteuses. Il y a de l'électricité dans l'air, et c'est une Jorane survoltée qui met un terme à la répétition.

«Mon état de tantôt, nous explique-t-elle ensuite, c'est pour remercier les musiciens pour leur ouverture. Quand je les ai approchés pour ce projet, il n'y avait pas de spectacle de booké, pas de partition, je ne savais pas où j'allais vraiment», dit la musicienne, qui a beaucoup conçu de musique pour les autres au cours des dernières années, tant au théâtre qu'au cinéma.

«J'aime travailler pour quelqu'un qui a une vision et faire de la musique que je ne ferais pas. Mais je suis contente d'avoir remis mes bottines de créatrice.»

Long voyage

Pas évident de comprendre exactement la teneur du projet de Jorane. Elle-même a de la difficulté à l'expliquer. C'est qu'il l'habite depuis longtemps - «On a commencé à travailler dessus en avril dernier, mais j'y pense depuis quatre ans» - et qu'il est loin d'être terminé.

«Je quitte mon port, mais mon bagage était prêt depuis longtemps. Après la Cinquième Salle, on va continuer la recherche», dit Jorane, qui précise que l'univers qu'elle a en tête n'est pas fait que de la musique.

«Ce sont des mouvements, des couleurs, des textures, des sensations. C'est pourquoi il y aura d'autres concepteurs qui se joindront à moi pour la suite», dit la musicienne, qui a le sentiment de partir à l'aventure. «On demande souvent aux artistes de se réinventer. C'est ce à quoi je m'attends de moi aussi.»

Sans paroles

Ceux et celles qui assisteront au spectacle auront droit à près de deux heures de musique, à des pièces très longues - entre 8 et 13 minutes chacune -, et surtout à une Jorane qui revient aux oeuvres sans paroles. «C'est ce qui est le plus naturel chez moi, j'aime utiliser la voix comme un instrument.»

Pendant la répétition, on a d'ailleurs été estomaqué par la profondeur de sa voix texturée, qui semble portée par une espèce de grondement intérieur. Que se passe-t-il? «C'est le feu, répond-elle. C'est la nécessité de faire ce que je fais, de revenir à ma rivière. C'est le temps. C'était le temps», dit Jorane, qui estime qu'on peut avoir comme référence son disque 16mm, qui date de près de 20 ans, tout aussi contrasté. «C'est comme ça, mais à la puissance 10!»

Première étape d'une longue marche - Jorane estime que ce projet pourrait la tenir occupée pendant au moins quatre ans -, ces deux spectacles seront donc un événement unique et précieux.

«Il n'y en aura pas d'autre pareil. Quelle fébrilité ! Bienvenue à ce saut dans le vide. Et j'ai tellement envie de le partager. J'ai-tu hâte, moi, de revoir tout le monde?», dit la musicienne, qui explique que ces compositions peuvent être autant atmosphériques que rythmiques. «Il y aura aussi des éléments d'électroacoustique, qui vont donner une autre dimension. Les gens qui assisteront à ce moment, ils vont entendre qu'il y a de la recherche.»

Énergie artistique

Cette recherche n'aurait pu se faire sans l'accueil de la Place des Arts, où la musicienne a fait trois semaines de résidence entre novembre et janvier.

«C'est un vrai incubateur qui va nous permettre d'accoucher. Et puis la Place des Arts, c'est tellement plein de souvenirs! L'énergie qu'il y a dans ce quadrilatère, c'est le centre du foisonnement de l'art. Je me sens super pleine d'énergie ici.»

Même au troisième sous-sol, où les ondes ne se rendent pas? Elle lance un cri de joie. «Oui et c'est tant mieux! Rien ne nous dérange, c'est comme une bulle de création.»

Une première pièce intitulée Réalité et rêve est diffusée depuis le 14 février, mais Jorane n'a pas l'intention pour l'instant de sortir d'album. «Il me semble que la business a beaucoup changé. J'ai l'impression que je peux choisir de ne faire que de la création pure.»

Enregistrer des pièces lui permet cependant de mettre un point final à la première étape. «Il faut laisser aller des affaires. Ça fait tellement du bien d'être patiente. La patience, en ce moment, c'est mon superpouvoir numéro un. Et ça a porté ses fruits.»

Jorane, à la Cinquième Salle de la Place des Arts le 28 février et le 1er mars.