Dans La musique, l'une des plus belles chansons de son vaste répertoire, à laquelle Luce Dufault prête sa voix chaude dans un nouvel album de duos, Jean-Pierre Ferland demande à cette musique à laquelle il a consacré sa vie: «Est-ce que tu m'aimes encore?»

La question n'a jamais été aussi pertinente. Depuis bientôt 10 ans, à l'exception des chansons de la comédie musicale La femme du roi dont la production est en suspens - «Ce n'est pas mort!», jure Ferland -, Toutes les femmes de ma vie est le quatrième album de relectures qu'il lance après Bijoux de famille, Chansons jalouses et, l'an dernier, La vie m'émeut, l'amour m'étonne. Sa muse l'aurait-elle abandonné?

«C'est pour faire plaisir à mes chansons, je pense, que j'ai fait ça, répond-il. Je n'ai pas pris une décision claire et nette, c'est arrivé comme ça.»

«J'écris encore, je travaille encore, je suis en train de faire une chanson pour les autistes qui me l'ont demandée. C'est très difficile, très délicat.»

Ferland, on le sait, avait annoncé sa retraite du show-business avant d'être terrassé par un AVC à quelques heures de son ultime concert au Centre Bell en octobre 2006. Depuis, il s'est rendu compte que la retraite n'était pas faite pour lui, tant et si bien qu'à 84 ans, il continue de donner des spectacles pour son plaisir.

De son propre aveu, Ferland est un créateur en proie au doute, et le passage des années n'arrange pas les choses. «Je suis peureux», lance-t-il le plus sérieusement du monde avant de convoquer un grand disparu qu'il a bien connu, notamment pendant sa résidence de quatre ans à Paris dans les années 60: Charles Aznavour.

«Aznavour, lui, n'avait peur de rien, moi j'ai peur de tout. Pour faire une chanson comme For me formidable, fallait avoir du culot en maudit. Il était petit et il avait le caractère d'un géant. Je l'aimais beaucoup. Il m'invitait dans sa loge à l'Olympia ou chez lui et on parlait beaucoup de chanson et de notre admiration pour ce travail. Ça m'a beaucoup aidé. Après ça, j'ai commencé à écrire avec beaucoup plus de confiance.»

Le martyre de la voix

Du culot, Ferland en a eu sa juste part. Ceux qui ont [re]découvert sa chanson Si on s'y mettait quand Hubert Lenoir se l'est appropriée sur disque avant de la chanter en duo avec Ferland aux Échangistes ont dû se dire que le monsieur en fumait du bon en 1971.

Quand d'autres interprètes prêtent leurs voix à ses chansons, comme les 11 chanteuses de Toutes les femmes de ma vie, Ferland ne doute plus: «Parce que je ne me pose plus de questions, dit-il. Je bouffe le plaisir.»

Chacun des duos de ce nouvel album a sa petite histoire. Yama Laurent, qui reprend avec lui Au fond des choses le soleil emmène au soleil, le libère d'un poids.

«Yama a gagné à La voix. Quand j'étais coach à La voix, j'ai souffert le martyre, j'étais déprimé tous les jours parce que tu fais de la peine à quelqu'un si tu fais plaisir à un autre. Ça me bouleversait. Quand j'ai quitté, j'ai dit aux journalistes que je n'avais pas aimé faire ça. Ce n'était pas correct. Yama, au fond, efface ma connerie.»

Diane Tell, que Ferland a connue enfant en Abitibi, reprend T'es mon amour, t'es ma maîtresse, une entreprise aussi audacieuse que celle de Lara Fabian qui s'attaque à Un peu plus haut, un peu plus loin, deux immortelles qu'on associera toujours à la voix de Ginette Reno.

Ferland glisse qu'il a proposé sans succès à madame Reno de chanter avec lui sur cet album. Et il précise que chacune des 11 chanteuses a choisi la chanson qu'elle allait se mettre en bouche. Mélissa Bédard et Julie Anne Saumur, l'amoureuse du chanteur, reprennent donc Que veux-tu que je te dise, comme elles le font dans ses spectacles à titre de choristes. Et Nanette Workman donne à sa version très blues-rock de Sing Sing un souffle qui décoiffe.

«Nanette, c'est une grooveuse pis elle groove, lance un Ferland au regard pétillant. Elle groovait tellement que j'ai été obligé d'aller refaire ma partie en studio. Ce sont les filles qui donnaient les tonalités à toutes les chansons.»

La seule chanson de l'album qui n'est pas inédite, c'est le duo avec Céline Dion sur Une chance qu'on s'a, paru sur son album Sans attendre en 2012.

«Parce que Céline fait partie des encourageuses. Elle m'aime et, pour elle, tout ce que je fais, c'est beau.»

C'est sans doute ce que se dit Ferland quand il évoque la possibilité d'un nouvel album de chansons originales qui pourrait faire suite au travail de création musicale qu'il effectue présentement au studio de son directeur musical André Leclair.

«J'essaie de donner un nouveau sens à ma musique. On travaille depuis des mois à une sorte d'orchestration nouvelle, du jamais-vu, quelque chose de moderne.»

Ce ne serait pas la première fois que Jean-Pierre Ferland se réinvente.

«C'est ce que j'ai toujours voulu, mais c'est un gros risque. Et je suis un peureux.»

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CHANSON. Toutes les femmes de ma vie. Jean-Pierre Ferland et 11 chanteuses. Musicor.

Image fournie par Musicor

Toutes les femmes de ma vie, de Jean-Pierre Ferland et 11 chanteuses