Valerie June est de ces rarissimes auteures-compositrices-interprètes d'ascendance afro-américaine qui arrivent à s'imposer dans le grand ensemble americana. Issue du Deep South états-unien, cette hyperdouée trentenaire allie folk, country, soul, gospel et même blues saharien. Cette palette est au service d'une voix et d'un accent bellement sudistes, qui incarnent des textes inspirés et lumineux.

On ne s'étonnera pas que les renommés Dan Auerbach, Me'Shell Ndegeocello, Booker T. Jones, Craig Street et autres Norah Jones se soient penchés sur son corpus chansonnier. Et que ses deux derniers album, Pushin' Against a Stone (2013, étiquette Sunday Best) et l'imminent The Order of Time (étiquette Concord), fassent l'objet de critiques élogieuses, pour employer un euphémisme.

C'est dire que la songwriter a fait beaucoup de chemin depuis une apparition très remarquée en 2009 à la série $5 Cover, diffusée par MTV. Elle avait alors fait fureur avec l'interprétation de No Draws Blues, ce qui avait lancé sa carrière alors qu'elle avait déjà deux opus à son actif (The Way of the Weeping Willow et Mountain of Rose Quartz), rapporte le périodique Rolling Stone.

Les racines de The Order of Time

Au bout du fil, soit peu après une performance donnée à Montréal il y a quelques semaines, Valerie June a le ton courtois des interviewés qui veulent bien collaborer tout en conservant une sage distance avec son interlocuteur médiatique.

Commençons par la création de The Order of Time, au cours du dernier trimestre de 2015 et du premier semestre de 2016: «Avec Matt Marinelli, mon réalisateur, j'ai d'abord pigé parmi une centaine de chansons et de maquettes guitares-voix. Ces chansons ne sont pas nécessairement récentes, elles ont émergé au fil de ma vie adulte, du début de la vingtaine à la trentaine. Nous avons finalement conservé nos choix communs et quelques chansons qui me hantaient l'esprit. Une quinzaine fut enregistrée, une douzaine fut conservée.»

Plusieurs écoutes de ce fort bon The Order of Time mène à croire que cette Valerie June a un faible pour les infusions de racines, ce qu'elle corrobore sans se faire prier: «J'aime tous ces bluesmen du désert, dans la lignée d'Ali Farka Touré. De manière générale, j'aime les racines de la musique, partout où on peut les déterrer sur la planète.» 

«Qu'elles proviennent d'Irlande, d'Angleterre, d'Europe, d'Afrique de l'Ouest ou du Sahara, toutes les musiques de racines ont un grand pouvoir. Voilà les germes d'une langue universelle.»

Se déplacer dans le temps

Quant aux racines de l'artiste elle-même, elle les juge diffuses. «Lorsque je pense à d'où je proviens, je pense d'abord à New York (sept ans à Brooklyn, plus précisément Williamsburg), puis au Tennessee où j'ai grandi et que je visite régulièrement (parce qu'y vit ma famille), et si j'essaie de voir plus loin... je permets d'imaginer un lieu magique, éthéré, stratosphérique. Sur mon nouvel album, les chansons With YouFront Door ou Astral Plane évoquent ce lieu où je ne peux retourner, sauf à travers mes chansons.»

«... A looking glass/Can only show you/So much/Follow the signs/Slowly but steady/Don't rush/The day will come/When you are ready/Just us Dancing on the astral plane/On holy water cleansing rain/Floating through the stratosphere...» dit effectivement Astral Plane.

«Ces évocations s'inscrivent néanmoins dans un espace-temps», reconnaît-elle. Comme l'indique aussi le titre de son album, le temps revêt pour elle une importance cruciale, «permet de cartographier l'existence, ses phases essentielles, ses épisodes marquants, toutes ces émotions sous-tendues».

Au-delà de ces considérations, Valerie June ne tient pas à coller de sens strict à ses textes de chansons: «Ils émergent de ma tête sans que je sache d'où ils proviennent et ce qu'ils signifient vraiment. Les gens les écoutent et peuvent ressentir des choses différentes en en découvrant les mots. Ces perceptions ne restent pas intactes; ce que je ressens moi-même d'une chanson que j'ai écoutée à l'âge de 18, 25 ou 30 ans est différent. Les chansons évoluent dans l'imaginaire, elles ont une existence propre.»

Et Valerie June sait en créer d'excellentes!

Cette conversation permet de conclure que Valerie June est une force tranquille et qu'elle ne manque pas d'ambition: «Sur scène, je réunis guitariste, bassiste, batteur, claviériste. Je chante et m'accompagne aux guitares acoustiques ou électriques ainsi qu'au banjo. Parfois des cuivres et des cordes se joignent à nous. Si je deviens une star, ils seront toujours à mes côtés.»

Son Astral Plane lui permettra-t-elle d'accéder à la constellation désirée? Simple question de temps.

Image fournie par Concord

The Order of Time de Valerie June