Dans son premier album rock en 13 ans, 57th & 9th, Sting traite de sujets qui touchent aussi bien le personnel que le politique. Dans une interview téléphonique à La Presse, il explique ce qui l'a incité à écrire quelques-unes de ses nouvelles chansons.

L'inspiration

I Can't Stop Thinking About You

Ne vous y trompez pas. I Can't Stop Thinking About You n'est pas une chanson d'amour mais bien une réflexion sur le mystère de la création et le syndrome de la page blanche. Depuis 13 ans, sur disque, Sting a donné dans les chants de Noël, il a chanté un compositeur du XVIe siècle ainsi que sa comédie musicale The Last Ship, en plus de revisiter ses chansons à la manière symphonique. Fuyait-il le rock ou était-il simplement en panne d'inspiration?

«Non, je ne fuyais rien. Je me laisse toujours guider par ma curiosité et, heureusement, j'ai un public très patient qui sait que je vais éventuellement produire quelque chose de plaisant à écouter. Pour moi, l'aspect le plus important de la musique est toujours la surprise. Quand j'écoute de la musique, quand j'en compose ou que j'en enregistre, je veux qu'il y ait un élément de surprise. Au cours de la dernière décennie, j'ai fait des disques "ésotériques" dans lesquels je me suis laissé guider par ma curiosité. Cette fois, je me suis dit que j'allais surprendre les gens en faisant un disque de rock'n'roll. Tous ceux qui l'ont écouté m'ont dit: "Wow! Je ne m'attendais pas à ça!" Donc, je suis très heureux.»

Le retour aux sources

Petrol Head et Heading South On The Great North Road

Le contraste est frappant entre le rock de guitare un peu punkisant de Petrol Head et la ballade folk Heading South On The Great North Road qui se suivent sur l'album.

«Tout mon ADN, tout le spectre de ce que j'essaie de faire est dans ce disque. Je fais encore mes disques comme si c'étaient des vinyles, qu'ils avaient deux faces et qu'il fallait les écouter d'un trait. Je viens de lancer un coffret de vinyles et j'ai vécu une belle expérience récemment. J'ai sorti un de mes disques de sa pochette, je l'ai posé délicatement sur la table tournante, j'ai déposé l'aiguille sur le vinyle et j'ai entendu ce merveilleux hiss avant que la musique commence. Je me suis rendu compte que c'est un rituel religieux auquel je m'étais prêté pendant toute ma jeunesse, mais pas depuis 25 ans. J'ai failli pleurer tellement c'était émouvant.

«La plupart du temps, je chante comme un acteur, je joue des personnages. Dans Petrol Head, ce n'est pas moi, c'est un camionneur obsédé par la religion et le sexe, et je ne partage qu'une de ces deux obsessions avec lui [rires]. Par contre, Heading South On The Great North Road, la chanson la plus personnelle du disque, parle de moi, de mon trajet depuis ma ville natale pour essayer de faire ma place dans le monde.

- Il y est question de votre relation avec votre père et de votre volonté de fuir le milieu où vous êtes né dans l'espoir d'une vie meilleure. On croirait lire l'autobiographie de Bruce Springsteen, même si votre relation avec votre père a sans doute été moins difficile?

- Vous pourriez être surpris [rires]... Bruce et moi avons beaucoup en commun, nous avons un background similaire.»

Les changements climatiques et la crise des réfugiés

One Fine Day et Inshallah

En plus d'Empty Chair, son hommage au journaliste James Foley exécuté par le groupe armé État islamique en Syrie, Sting a écrit deux chansons sur des sujets d'actualité: la très ironique One Fine Day, à propos des changements climatiques, et Inshallah, dans laquelle le narrateur se met dans la peau d'un père de famille réfugié syrien.

«Aujourd'hui, la crise des réfugiés est liée à la guerre au Moyen-Orient et à la terrible pauvreté en Afrique, mais dans un proche avenir, les changements climatiques pourraient être le moteur de l'immigration, de la fuite vers la sécurité. Je prie tous les jours pour que les climato-sceptiques aient raison et que la science se trompe, mais je soupçonne que tel n'est pas le cas. Pour moi, l'humour, l'ironie sont des outils plus efficaces que de monter sur une tribune pour pointer du doigt.

- À titre d'"Englishman in New York" et d'écologiste militant, vous avez probablement noté que la question des changements climatiques n'a pas vraiment été abordée dans les débats entre Hillary Clinton et Donald Trump?

- Non, et pourtant, c'est le problème le plus important auquel nous devrons faire face. Donc, j'espère que, quand elle sera élue présidente, Hillary se penchera sur cette question.

- Que pensez-vous de la position de Trump face à la crise des réfugiés?

- Je vous en prie, c'est complètement fou. Le slogan de sa campagne est "Let's make America great again", mais ce qu'il dit en fait, c'est "Let's make America White again". C'est du racisme.»

Le vedettariat

50,000

Sting a écrit 50,000 à la suite des décès de David Bowie, Glenn Frey, Prince et son ami comédien Alan Rickman. Il y traite de la relation entre les artistes et les fans qui en font des dieux.

«Il y a un enfant en chacun de nous qui pense que nos icônes culturelles sont immortelles. Et pourtant, malheureusement, comme nous tous, elles sont mortelles. Je connaissais David, je connaissais Prince et je me rends compte combien nous sommes vulnérables. Vous vous sentez comme un dieu quand 50 000, 100 000 ou 200 000 personnes chantent vos chansons devant vous. Vous êtes le centre de l'univers, vous vous sentez immortel et pourtant aucun de nous ne l'est. Psychologiquement, c'est difficile d'être une rock star. Certains d'entre nous composent mieux avec ça que d'autres.

- Quel bilan faites-vous des retrouvailles de The Police en 2007?

- On a bouclé la boucle. Nous ne nous étions jamais séparés officiellement, nous étions simplement passés à autre chose. C'était important pour nous de donner aux fans ce qu'ils voulaient, de leur faire nos adieux. La légende est intacte, et le chapitre est clos.

- Pour vous personnellement, était-ce une expérience positive?

- Euh... oui et non. Le philosophe Héraclite dirait qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Les choses avaient changé, et je l'ai vraiment ressenti. Mais c'était quand même très réussi.»

Sting va entreprendre sa prochaine tournée en Amérique du Nord en février et il confirme qu'il repassera par Montréal. Il ajoute que Peter Gabriel et lui aimeraient beaucoup repartir en tournée ensemble l'an prochain.

Par ailleurs, c'est Sting, le 12 novembre, et non pas Pete Doherty, dont le concert du 16 affiche complet, qui sera sur scène le soir de la réouverture du Bataclan, la boîte parisienne où trois djihadistes ont tué 90 spectateurs le 13 novembre 2015. La recette de la soirée sera reversée aux associations de victimes Life for Paris et 13 Novembre: Fraternité et Vérité. Enfin, Sting sera honoré pour l'ensemble de sa carrière à la cérémonie des American Music Awards qui sera diffusée sur ABC le 20 novembre.

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ROCK. 57th & 9th. Sting. Universal. En magasin le 11 novembre.

image fournie par Universal

57th & 9th, de Sting