Your Favorite Enemies n'est pas qu'un groupe rock québécois mieux connu en Europe et en Asie que dans son pays. C'est une véritable commune doublée d'une petite entreprise qui ne compte que sur elle-même. Rencontre.

Devant l'ancienne église de Drummondville qui sert de repaire à Your Favorite Enemies, Charles ramasse les feuilles d'automne avec son râteau. Marie-Danièle sort aussitôt du presbytère pour accueillir La Presse. Ni l'un ni l'autre ne font partie du groupe de noise-rock, mais ils ne sont pas moins membres à part entière de la famille élargie qui habite et travaille en ces lieux.

Jeff, Alex, Sef, Ben et Miss Isabel ne sont pas originaires de Drummondville, pas plus que Charles, qui avait déjà quitté Alma pour s'installer à Montréal quand il a entendu dire qu'ils cherchaient un batteur. La majorité des 16 amis qui entourent les six musiciens au quotidien sont de la Rive-Sud de Montréal, à quelques exceptions spectaculaires près:

> Momoka, qui a tellement envié le mode de vie du groupe - «ils avaient l'air tellement vivants!» - qu'elle a quitté le stress de Tokyo pour la quiétude de Drummondville, où elle est à la fois traductrice et agente de promotion au Japon pour le groupe.

> Juliette, sa collègue française passionnée de musique qui a découvert le groupe sur MySpace avant un concert à Paris: «Je suis venue pour un an et je suis encore là trois ans plus tard.»

> Kosho, l'artiste visuel et vidéaste qui a vu YFE en première partie de Simple Plan au Japon, puis est venu s'installer dans la ville des Trois Accords avec la bénédiction de son père, un moine bouddhiste qui a aidé le groupe à donner un concert dans un temple millénaire de Kyoto.

Chacun a sa spécialité et tous sont rétribués également selon le mode coopératif. Myriam et Kanu, des amis d'enfance du groupe, dessinent et produisent sur place affiches, pochettes de disques, t-shirts et autres produits dérivés.

Ajoutez à cela un contrat à gauche et à droite - une bande sonore pour le jeu vidéo Final Fantasy, des t-shirts pour d'autres compagnies de disques, etc. - et les recettes des concerts qui ont mené YFE jusqu'en Chine et en Indonésie, et vous avez là de quoi permettre au collectif de vivre et de prendre de l'expansion.

«Au début, on avait tous d'autres emplois. Miss Isabel est à temps plein dans le groupe depuis un an; avant ça, elle travaillait le matin comme hygiéniste dentaire et nous retrouvait le soir», raconte Jeff Beaulieu, guitariste et imprésario du groupe.

Au moins trois des membres du collectif sont encore travailleurs sociaux.

Simplicité volontaire

Leur mot d'ordre: simplicité volontaire. «Au début, au lieu de prendre une bière après un concert, on réinvestissait l'argent dans l'achat d'une guitare ou d'un ampli, se souvient Alex Foster, chanteur et parolier de YFE. On n'avait pas l'ambition de devenir un groupe international; ça nous a pris par surprise.

- Aujourd'hui, vous en vivez correctement?

- Oui, mais en tournée, il faut être très disciplinés: ça se peut qu'on mange le même genre de sandwich tous les jours. On peut se payer une bonne bouteille de rouge de temps en temps, mais on fait attention.»

Your Favorite Enemies a tout ce dont il a besoin sous la main. L'ancienne église Saint-Simon de Drummondville abrite deux studios d'enregistrement et un studio de télé à partir duquel le groupe diffuse sur le web, une fois par mois, le talk-show musical Bla Bla Bla: The Live Show, en anglais puis en français, avec traduction simultanée dans une dizaine de langues.

Les six musiciens et leurs amis ont transformé eux-mêmes l'église et le presbytère acquis en 2009 pendant une année et demie au cours de laquelle ils n'ont pas eu beaucoup de temps à consacrer à leur musique. La seule exception à leur philosophie DIY: ils ont embauché des experts acousticiens d'Angleterre pour que leur production musicale soit à la hauteur de leurs attentes.

Tous ont appris leur métier sur le tas. Myriam et Kanu ont suivi des cours et posé des questions à gauche et à droite et ils peuvent aujourd'hui produire un t-shirt à l'effigie du groupe en un rien de temps. Kanu s'occupe également du design et du codage du site web de YFE.

Le groupe a son réseau de boutiques en ligne spécifique à chaque pays. Plus encore, YFE peut produire sur son propre label des versions différentes de ses albums en fonction des marchés. Les collectionneurs parmi les membres de leur fan-club - le Secret Family Cult Club - tissent donc des liens qui leur permettront de s'échanger un album français pour un album australien, par exemple.

La musique des extrêmes

Your Favorite Enemies donne dans «le noise-rock, le bruit, les ambiances et les extrêmes, du très doux à l'extrêmement intense», explique Ben Lemelin, le bassiste. On les a déjà vus à Heavy MTL, mais, en Angleterre, une radio de niche prog diffuse leur dernier album.

«On peut également faire du spoken word en français et des pièces plus douces, plus acoustiques, plus ambiantes, un peu à la Nick Cave avant que Warren Ellis débarque avec un peu de noise-rock», explique Alex Foster, chanteur et parolier du groupe.

Nick Cave, que le groupe a déjà croisé dans un studio de préproduction de Londres, est l'idole d'Alex, qui a profité d'un récent passage à Austin, Texas, pour compléter sa collection de bootlegs de l'artiste australien. Mais il y a aussi dans le salon de YFE des livres, des disques et des DVD de U2, Pearl Jam, Mono et Mogwai. «Notre son à nous, c'est l'assemblage de tout ça», reconnaît Alex.

On est loin de l'époque où Alex et Sef, jeunes travailleurs sociaux d'un organisme d'aide aux familles défavorisées, avaient monté un groupe de musiciens en prévision d'un concert gratuit pour les jeunes de Longueuil.

En 2014, Your Favorite Enemies a été remarqué au MIDEM, ce qui lui a valu la tournée européenne qu'il fera en novembre avec le groupe américain ... And You Will Know Us By the Trail of Dead. Il y a eu aussi ce festival à Taiwan où le groupe québécois s'est produit en tête d'affiche devant 90 000 spectateurs. Et le showcase au CMJ de New York dans deux semaines, qui pourrait leur faciliter une percée aux États-Unis.

Sans oublier l'album Illness and Migration, qui s'est maintenu dans le top 10 du palmarès anglo d'iTunes au Québec après sa sortie en mai dernier, préparant le terrain pour le concert de ce soir au Club Soda.

«Chaque année, on se fait une petite vidéo bilan qu'on montre dans l'émission en ligne. En regardant ça, on comprend pourquoi on est fatigués», dit Miss Isabel en riant.

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Au Club Soda ce soir. En première partie de Seether.