Qui se souvient du Capitaine Nô? Dans les années 70, ce chanteur hirsute a connu un petit succès avec des chansons savoureuses comme André, La Gaspésie, Personne ne m'aime et l'ineffable Baloney et sa mémorable intro («Quand j'embarque su' ma sandwich... quand j'embarque su' ma sandwich au baaaaaaloney....!»).

Certains l'ont comparé à Plume Latraverse, rapport au parler bien franc et à la barbe bien drue. Mais Pierre Leith, alias Capitaine Nô, avait sa manière bien à lui de chanter le p'tit monde et de critiquer la société. Sa voix nasillarde, son joual baveux et son phrasé de mâcheux de gomme désabusé lui donnaient des airs de bum. Ce qu'il était. Un peu.

Mais au contraire de Plume, Pierre Leith est passé à la trappe de l'Histoire. Après trois albums bien juteux, enregistrés entre 1975 et 1981, il a plus ou moins disparu dans la brume, ne réapparaissant qu'à l'occasion sur scène ou sur disque, sans jamais réémerger totalement.

On ne vous en parlerait sans doute pas, d'ailleurs, si le bonhomme n'était de retour sur les planches demain soir.

Enfin, «retour» est un bien grand mot, puisque le chansonnier blues rock ne donnera qu'un seul concert, et ce, dans un magasin de musique de Saint-Hubert qui ne compte pas plus d'une soixantaine de places.

Mais cela nous a suffisamment intrigués pour qu'on lui lâche un coup de fil, histoire de prendre de ses nouvelles.

Tête de cochon

«C'est vrai que le loup ne sort pas souvent, lance le musicien de 64 ans, qui habite toujours son La Prairie natal. Je donne des shows quelques fois par année, seulement quand j'ai des propositions.»

Les propositions ne pleuvent pas, admet-il. Pierre Leith est tellement en dehors du radar qu'on ne se bouscule plus trop pour l'engager, si ce n'est pour des mariages, des partys privés et des petits concerts confidentiels.

Côté disques, ce n'est guère mieux.

Il y a deux ans, il a été obligé de produire son nouveau CD (Évolution) à compte d'auteur, parce que les labels établis n'en voulaient pas. La distribution s'est faite à la mitaine et par l'entremise de sa page Facebook, où il est d'ailleurs très actif. L'album était pourtant meilleur que la majorité de la «crap» qui se fait au Québec.

Sa tête de cochon ne l'a probablement pas aidé. Indécrottable indépendant, Capitaine Nô a toujours fait les choses à sa manière, ce qui l'a probablement desservi jusqu'à un certain point. Dans une industrie polie comme la nôtre, le profil grande gueule n'a pas trop la cote.

Il est d'ailleurs le premier à le reconnaître. «J'ai toujours mené ma barque moi-même, dit-il. Mais dans ce milieu-là, si tu ne joues pas le jeu des exploiteurs, tu finis par payer le prix. Les critiques ont aimé mes affaires. J'ai mes fans. Mais les producteurs ont comme peur de moi. C'est pour ça que je suis un loner. Je dis trop ce que je pense. Y a pas de téteux autour de moi.»

Le rêve brisé

N'empêche, il aimerait bien qu'un «téteux» lui donne un coup de fil. Car il caresse en ce moment le projet de ressortir ses vieilles tounes sous forme d'anthologie, un genre de coffret qui inclurait ses meilleurs titres, avec des extraits d'émissions de télé et des photos d'archives.

Il faut savoir que les chansons du Capitaine Nô n'ont jamais été rééditées, sauf sur quelques compilations isolées - un vrai scandale.

En 2007, le chanteur a tout de même réenregistré un de ses classiques (Personne ne m'aime) pour la trame sonore de la série Les Boys, un baume sur ses plaies de vieux chansonnier blues rock.

Cet épisode lui a d'ailleurs donné envie de reprendre la guitare, lui qui avait tout laissé tomber au début des années 2000 pour travailler dans une quincaillerie.

Une période sombre, où il a vécu avec le sentiment d'un «rêve brisé».

«Ça m'a amené l'humilité», dit-il.

Aujourd'hui, il s'en fait moins. Officiellement retraité, il assume son relatif anonymat et passe ses journées à se la couler douce («Je lis, je regarde la télé, je prends des marches»), sans oublier d'écrire et de jouer un peu.

Bien sûr, ça l'emmerde que Plume soit devenu une icône et pas lui («Arrêtez de dire que je suis succédané, on a commencé en même temps!»). Il sait cependant que ses chansons tiennent la route («Le Québec n'a pas assez évolué pour que mes textes soient périmés!»), et il sera très content de les défendre demain, avec sa guitare et son harmonica.

Baaaaaaaloney!...

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Capitaine Nô en concert. Mardi 14 janvier à 19 h 30. Studio de musique Claude-Debussy, 3540, rue Rocheleau, à Saint-Hubert. Réservations: 450 678-8416.