Akousma, qui se tiendra (surtout) à l'Usine C du 23 au 26 octobre prochains, demeure le plus pointu des festivals montréalais associés de près aux musiques électroniques et leur périphérie. Certains de ses créateurs invités, pourtant, sont à l'origine de toutes les pratiques créatrices sur ce territoire infini.

Prenons l'exemple de l'électroacousticien français François Bayle, 81 ans, qui fut l'élève des compositeurs Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer et Karlheinz Stockhausen et qui fut un membre incontournable du fameux Groupe de recherches musicales (GRM).

Toujours alerte, la réplique généreuse et concise, Bayle est le doyen du prochain Akousma. Il y présentera deux oeuvres à l'Usine C, sans compter une escale au Conservatoire de musique de Montréal où il se prêtera à une séance d'écoute et de discussion autour de sa musique - que résume d'ailleurs un superbe coffret de 15 CD: François Bayle / 50 ans d'acousmatique, sous l'étiquette de l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

«Au fil des décennies, pose fièrement le musicien, cette pratique est entrée par tous les orifices de l'immeuble: porte, fenêtre, soupirail... La caractéristique propre de l'électroacoustique est d'avoir été associée à la musique contemporaine, ce qui n'est pas forcément une bonne chose... En tout cas, c'est notre histoire.»

Le point de l'âge

Inutile de souligner que l'octogénaire n'est plus au stade des bouleversements conceptuels.

«Je suis marqué par mon âge, je reste dans une tradition. Au fond, j'essaie de m'inscrire dans une ligne qui part de notre ancêtre Edgar Varèse et qui, à travers Messiaen et Stockhausen, a mené à l'ouverture musicale vers cette «utopie spatiale». Dans mon cas, s'ajoute une caractéristique: je ne peux pas rompre avec l'oreille harmonique.»

En cela, François Bayle signifie le refus d'exclure les notions d'harmonie ou mélodie de sa palette sonore. «Ma musique, soulève-t-il, est à la fois harmonique et électroacoustique. Je me définis souvent comme une sorte de techno-symphoniste en ce sens; je maintiens certains éléments du passé et j'y tiens beaucoup. Sinon, on se retrouve dans des musiques d'audition froide et grise.»

Instrumentalisation

Autre spécificité du compositeur: son rapport physique à la création électroacoustique.

«Pour ce, j'utilise les ressources informatiques du traitement manuel: joystick, table graphique, crayon qui bouge sur une surface. Mes sons sont engendrés et transformés par des gestes manuels et non par l'activation de programmes informatiques. Hand made! Pour moi, c'est ce qui éveille ma surprise auditive. Ce qui m'excite, ce qui me donne envie de chercher et de trouver. Si je ne suis pas engagé physiquement, je reste froid. Il y a toujours un logiciel dans l'affaire, remarquez, mais il faut une terminaison nerveuse. Je crois à l'intelligence des mains.»

En ce qui a trait à la diffusion de son travail, l'engagement physique est presque inexistant: le compositeur diffuse sa musique «en octophonie, c'est-à-dire en quadruple stéréophonie, espace étagé qui occupe le volume complet de la salle». Ce travail s'inscrit dans une pratique acousmatique, c'est-à-dire affranchie d'une intervention active de son créateur devant public - sauf les manipulations nécessaires à sa diffusion.

À la recherche d'un public

François Bayle dit venir présenter son travail au Québec pour la quatrième fois quatre décennies. Et il gagne toujours à être connu... ce qui l'agace visiblement.

«Notre milieu, résume-t-il, a suscité beaucoup d'enthousiasme à ses débuts et s'est heurté progressivement à la généralisation d'outils qui étaient autrefois l'apanage de la musique électroacoustique; par la suite, plusieurs jeunes compositeurs n'y ont pas apporté leur énergie. La musique contemporaine, d'autre part, en a freiné l'invasion, l'a souvent vue d'un mauvais oeil. Cet antagonisme est désuet, inutile.

«Pourquoi, s'interroge le vétéran, les festivals électroacoustiques sont aujourd'hui les plus petits alors qu'ils furent les premiers, les plus forts et les plus riches? Ça me déçoit un peu. Mais ce n'est pas la faute de leurs organisateurs extrêmement dévoués, ni de leurs compositeurs inspirés. Le problème est d'un autre ordre. Le problème est social. Avec l'arrivée des moyens numériques faciles et légers, on ne trouve plus le temps de lire ou même d'aller au cinéma! Mais ça ne fait rien, il faut résister... tout en se réjouissant de la croissance phénoménale de la création musicale liée à l'électronique.»

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Dans le cadre du festival Akousma, François Bayle participera à une session d'écoute et de discussion le 25 octobre, 17 h, au Conservatoire de musique de Montréal. Il diffusera ses oeuvres Les couleurs de la nuit (1986-2012, stéréophonie) et Univers nerveux (2006, octophonie) le 26 octobre, 20 h, à l'Usine C. Info: akousma.ca