Comment des étudiants en art et en littérature en arrivent-ils à décrocher le Mercury Prize, un prix très important de la profession musicale au Royaume-Uni? Demandez-le au groupe Alt-J, qui sera en spectacle ce soir dans un Corona archicomble.

Comment des étudiants en art et en littérature en arrivent-ils à décrocher un prix très important de la profession musicale au Royaume-Uni et ainsi acquérir une renommée internationale? À l'évidence, plusieurs chemins mènent au Mercury Prize. Le parcours du groupe Alt-J est éloquent en ce sens.

En 2007, indique leur profil biographique, les membres du désormais célèbre quartette se sont connus à l'université de Leeds, dans le West Yorkshire. Joe Newman (voix, guitare), Gwil Sainsbury (guitare, basse) et Thom Green (batterie) étaient inscrits en arts, alors que Gus Unger-Hamilton (claviers) avait choisi la littérature anglaise. Dans leurs temps libres, Gwil et Joe ont entrepris de créer des chansons et de les réaliser avec un logiciel accessible à tous - Garage Band, plus précisément. Thom et Gus se sont joints à eux par la suite.

Cinq ans plus tard, An Awesome Wave, premier album de ces autodidactes destinés à d'autres métiers que celui de musicien, a été primé par la critique, à un point tel que le prestigieux Mercury Prize leur fut décerné en novembre 2012. Déterminé annuellement par un aréopage de professionnels et journalistes spécialisés, ce prix a déjà honoré P.J. Harvey, Portishead, Franz Ferdinand, The XX et Elbow, pour ne nommer que ceux-là.

Sous étiquette Infectious, An Awesome Wave fut lancé en juin dernier. Succès d'estime immédiat, mise en branle de tournées européennes et nord-américaine. En septembre, le groupe faisait une première apparition montréalaise dans un Café Campus plein à craquer, soit quelques semaines avant la remise du fameux prix. Inutile d'ajouter que le Théâtre Corona affichera complet pour l'escale de lundi.

«Montréal fut le concert le plus couru de cette tournée. Nous avions été les premiers surpris», se rappelle Gwil Sainsbury, joint en Angleterre il y a quelques jours. Comment, au fait, s'explique-t-il l'effet boule de neige? La réponse se trouve dans la liberté que procure l'environnement numérique.

«Il faut vraiment réaliser que nous n'étions pas éduqués musicalement.  Nous allions sur YouTube pour y découvrir toutes sortes de genres, bass music, dubstep, etc. Nous n'avions vraiment pas le profil d'historiens du rock! Personne d'entre nous n'avait à sa disposition une collection de disques. Nous trouvions plutôt notre chemin dans cette abondance de propositions sur l'internet, nos choix étaient instinctifs, nos goûts très diversifiés. Il en va de même aujourd'hui; nous choisissons ce que nous aimons, tout simplement. Notre travail résulte de séances d'improvisation dont nous avons conservé les meilleurs moments.»

Puisque leur musique ne nécessitait pas de grandes compétences techniques et théoriques, ces jeunes musiciens de l'internet ont pu créer librement un langage personnel sans connaître les fondements de la création musicale classique.

«Il nous importe tout de même que les accords, rythmes ou manières de jouer s'insèrent parfaitement dans une chanson en chantier. Cela dit, nous ne pensons pas à des styles musicaux ou à des artistes en particulier lorsque nous composons. Dubstep, bhangra ou guitare espagnole peuvent émerger sans que nous en soyons tout à fait conscients. Nous avons absorbé ce que d'autres ont fait, nous en avons intégré la matière, mais cela s'est perdu dans notre imagination pour ressortir autrement, sans que nous cherchions à savoir ce qui s'est passé. C'est ainsi, je crois, que les meilleures choses se produisent en création.»

Un des traits les plus singuliers d'Alt-J réside dans l'approche vocale, sorte de barbershop indie. Gwil rit de bon coeur lorsqu'on lui suggère l'étiquette, et tente une explication sommaire: «D'abord, Joe possède une voix unique, inimitable. Secundo, Gus a déjà fait partie de chorales spécialisées dans les musiques sacrées de la Renaissance. La voix spéciale de Joe et cet acquis de Gus créent une chimie très intéressante et pavent le chemin de nos arrangements vocaux. Notre originalité tient à ce mélange.»

Inutile s'ajouter que la création ne passe pas par une méthodologie rigide. Seule compte la collégialité: «La création d'une chanson est toujours différente, mais la recherche doit être commune et les réponses doivent faire l'unanimité au sein du groupe. Les égos de chacun doivent être mis de côté afin qu'une bonne chanson puisse naître. Notre amitié, d'ailleurs, est pour quelque chose dans le succès de l'entreprise.»

Comme c'est souvent le cas dans la pop culture, les musiciens d'Alt-J ont tout appris en même temps: le jeu instrumental, la composition, l'écriture, l'arrangement. Gwil Sainsbury fait observer que les mois de tournée intense ont permis au quartette de progresser rapidement, phénomène typique des jeunes formations.

Quant au Mercury Prize, les musiciens d'Alt-J y voient la chance unique de transformer une expérience de jeunesse sympathique en une profession d'envergure internationale.

«Cette reconnaissance institutionnelle est pour nous très positive, pense Gwil.  Nous avons commencé à nous produire sur scène sans aucune connaissance de ce métier. Nous n'avions pas le sentiment d'être professionnels même si nous pouvions tourner avec les chansons que nous avions créées. Et puis le Mercury Prize nous a donné confiance, nous a fait sentir que ce que nous faisions était valable.  Aujourd'hui, bien sûr, nous ressentons la pression de faire un deuxième album. Notre label nous encourage à le faire avec goût et imagination. Nous le ferons en prenant le temps nécessaire.»

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Alt-J se produit à guichets fermés au Théâtre Corona, lundi, 20h.