Humble, Luce Dufault n'osera pas dire que cet album, simplement baptisé Luce, est son meilleur, mais c'est en tout cas celui qu'elle veut faire depuis longtemps.

Luce, un disque de reprises, certes, mais surtout un disque fait avec goût. Les deux ne vont pas souvent de pair, convenons-en... 

«Si j'avais voulu faire un coup d'argent, j'aurais fait d'autres choix de chansons pour mon album», dit Luce Dufault, rieuse mais quand même un peu sur ses gardes. «Je n'aurais pas mis trois standards de jazz!»

Sortir un tel album en ces temps où, justement, les palmarès de ventes et les radios sont pollués de reprises ou de duos prête flanc à la critique et peut alimenter le cynisme à l'endroit d'une industrie qui donne parfois l'impression de faire de la pop comme on fait de la saucisse.

«Le timing, moi, ça n'a jamais été ma force», laisse échapper Luce, ajoutant que si les maquettes de cet album sont apparues il y a 18 mois, l'album est espéré depuis le début de sa carrière d'interprète. Ce disque, il fallait qu'il sorte. «Ça ne pouvait se faire autrement, ça ne pouvait se faire plus tôt non plus», résume-t-elle.

Luce est un disque qui vient des tripes, ça s'entend dès les premières mesures de I Can't Stand the Rain d'Ann Peebles, reprise plus tard, avec succès, par Tina Turner. L'interprète offre ici des versions de ces chansons qui l'habitent depuis longtemps, Gershwin (Someone to Watch Over Me), James Taylor (Fire and Rain), Jimmy Cliff (Many Rivers to Cross) ou Cyndi Lauper, dans une version rythmée, rafraîchissante et franchement inédite de Time After Time.

«Je l'avais déjà chantée auparavant, mais dans la version qu'on connaît mieux. Lorsque Jean (Garneau, arrangeur, guitariste) m'a donné la maquette de cette version, j'ai dû le rappeler: «Jean, es-tu vraiment sûr?».» C'est la seule vraie audace d'un disque que Luce et ses collègues – Garneau et Jean-Sébastien Fournier, réalisateurs – voulaient vibrant, enregistré live, portant un vernis soul qui rappelle l'héritage des studios de Memphis, durant l'âge d'or des années 70.

Ainsi, ce serait bien mal connaître Luce Dufault que de l'imaginer vouloir profiter d'une conjoncture musicale pour, elle aussi, se lancer dans le pillage du catalogue pop universel. Et puis, une fois par 10 ans, ce n'est pas de l'abus.

Au printemps 2000, en effet, Luce Dufault a enregistré pour le disque Soir de première deux concerts donnés au Cabaret Juste pour rire dans lesquels elle reprenait certaines de ses chansons à elle, mais surtout celles des autres. À la manière Dufault: classiques parmi les classiques enfilés les uns après les autres et dans le désordre de cette voix chaude, grave et maternelle qui en a fait l'une des interprètes les plus appréciées du grand public.

Du Famous Blue Raincoat de Cohen à La Chanson des Vieux Amants et God Bless the Child, un panorama des influences musicales qui ont accompagné la chanteuse. «Je viens d'Orléans (en banlieue d'Ottawa, aujourd'hui fusionnée à la capitale), d'une famille où l'anglais était très présent.»

«Jusqu'à l'âge de 10 ou 12 ans, notre culture musicale, à la maison, c'était Carole King ou James Taylor» – deux grands songwriters américains à qui elle a emprunté une composition pour son nouvel album, qui contient aussi de belles et intenses versions de You Keep Me Hanging On, My Funny Valentine et le Baby I Love You qu'Aretha Franklin a popularisé. Sa grande amie Catherine, son «aide-mémoire», l'a aidée à faire le tri dans les chansons et les souvenirs pour en arriver à ce respectueux album de soul pop.

«Ce disque-là, j'y pense depuis les Beaux-Esprits», défunt bar de blues du Quartier latin où elle s'est usé les cordes vocales à pousser du blues et des ballades de jazz, avant de songer à lancer un premier album et à s'imposer sur notre scène musicale comme l'une des plus belles voix de la pop.

Luce Dufault fera sa rentrée au Club Soda les 21 et 22 avril.