Malgré ses deux passages remarqués par la communauté arabo-montréalaise dans le cadre du FMA (en 2003 et 2005), l'Irakien Naseer Shamma n'a pas encore acquis en Occident ce statut de supervirtuose qui transcende les cultures, les nations et les communautés. Le concert que présentera l'oudiste vendredi prochain pourrait cependant rallier les mélomanes de toutes allégeances.

Sous la bannière Les Trois Magnifiques, l'instrumentiste et compositeur nous propose une version orientale de ces rencontres de solistes top niveau dont raffolent les amateurs ; à Montréal, Naseer Shamma se produira avec le guitariste flamenco Carlos Pinana et le sitariste pakistanais Ashraf Shariff Khan. Ce métissage en direct n'est pas sans rappeler les initiatives de John McLaughlin aux côtés du guitariste Paco de Lucia, du violoniste L. Shankar ou du mandoliniste U. Shrinivas. Cette fois, le flamenco, la musique classique indienne en mode pakistanais et la musique classique arabe d'aujourd'hui font se rencontrer l'oud, le sitar et la guitare flamenca, que Naseer Shamma considère comme les instruments maîtres des cultures musicales réunies dans ce contexte. Il rappelle fièrement que ces instruments ont une histoire extrêmement riche: le premier oud, par exemple, a été recensé il y a 4350 ans ! Dans la même optique, le sitar est pour Shamma l'instrument à cordes par excellence de la musique classique indienne (ou pakistanaise), alors que la guitare flamenca unit les musiques arabes et européennes.

«Nous prenons la route de la soie, d'une certaine façon», résume le musicien, joint cette semaine à Abou Dhabi. «Il existe une excellente communication entre nous, tant sur le plan des relations humaines que des bagages culturels ou de l'ouverture d'esprit. Je joue régulièrement avec de grands solistes dans différentes configurations - duo, trio, quartette, avec ou sans accompagnement orchestral. Partout où nous nous produisons, la réaction du public est la même.»

Cette démarche de Naseer Shamma remonte à 1996, alors que l'oudiste invitait Ashraf Shariff Khan à partager la scène lors d'un concert présenté à Tunis. «Il provient d'une véritable lignée de maîtres sitaristes (ndlr : il est le fils de Ustad Muhammad Sharif Khan Poonchwala). Ce grand musicien pakistanais se montre ouvert à toutes les rencontres», résume l'interviewé.

«En 2003, poursuit-il, j'ai invité Carlos Pinana au Caire (où je vis), ce qui m'a mené à donner plusieurs concerts avec lui en Espagne. Rapidement, j'ai senti le besoin de faire évoluer la communication entre musiciens de différentes traditions. Ainsi, j'ai multiplié ces rencontres en invitant plusieurs autres instrumentistes à se joindre à moi et mes amis solistes. Nous nous sommes retrouvés jusqu'à quinze sur scène ! Quelle que soit leur nationalité, nos collaborateurs ont apprécié la communication et le haut niveau d'exécution.

«Évidemment, nous avons rarement les moyens de voyager avec des formations aussi considérables, nous venons à trois au concert de Montréal. N'ayez crainte, vous ne serez pas déçus ! Notre programme est puissant et profond, nos différentes mentalités y trouvent un terrain commun et beaucoup d'espace pour l'expression de l'âme. Au moins trois pièces, d'ailleurs, y seront jouées pour la première fois. »

Ainsi, le programme des Trois Magnifiqes sera essentiellement constitué des compositions originales de Naseer Shamma, le tout intercalé de dialogues improvisés, avec la collaboration ponctuelle du percussionniste (cajon) Miguel Medina et de la danseuse flamenca Rae Bowhay.

Les structures musicales des cultures mises de l'avant fait observer Shamma, facilitent la conversation entre solistes: «Les maqâms et les ragas, fondements des musiques arabes et indiennes, comportent plusieurs éléments similaires, d'autant plus qu'ils sont tous deux propices à l'improvisation. Par ailleurs, le langage flamenco est aussi proche des musiques arabes, notamment parce que de grands musiciens arabes avaient jadis contribué à la création d'un institut de musique à Grenade - avant la Reconquista. Quelques siècles plus tard, les gammes arabes ou irakiennes traversent toujours la musique flamenca, j'ai le net sentiment que la musique andalouse fait partie de mon patrimoine.»

Naseer Shamma ne cesse donc de s'ouvrir au monde, tout en renforçant et modernisant ses bases. Outre la modernité et l'ouverture que caractérisent son jeu exceptionnel, le musicien a mis au point des

techniques pour l'oud en plus de fonder un réseau d'écoles consacrées à son instrument de prédilection.

Ainsi, Shamma dirige trois établissements implantés au Caire (Égypte), à Constantine (Algérie) et Abu Dhabi (Émirats arabes unis). Non seulement y étudie-t-on la musique classique arabe et y reçoit-on les enseignements de compositeurs actifs en Orient, mais encore y est-on sensibilisé aux trois tendances stylistiques de l'oud : irakienne, orientale (Égypte et Syrie) et turque.

En Orient, force est de déduire, tout baigne pour Naseer Shamma. En Occident ? Lorsqu'on provient d'Irak et que l'on évolue d'abord dans le monde arabo-musulman, il n'est pas aussi évident de rayonner dans le monde occidental. Encore moins d'être le précurseur d'un grand métissage, rôle que s'attribuent les Occidentaux de manière générale. Notre homme entend bien faire autrement.

«Un de mes projets, soulève-t-il à titre d'exemple, est la relecture de pièces de Paganini et Rossini adaptées pour oud et orchestre symphonique. Vous savez, je ressens la musique de n'importe quelle culture. Qu'il s'agisse de Bach, Mozart ou Handel, la musique reste la musique. Bien sûr je suis très fier de maîtriser les traditions irakiennes, je crois néanmoins que mon style ne se limite plus à ma propre tradition. Je vise l'universel.»

Les Trois Magnifiques se produisent le 13 novembre, 20h, au Théâtre Maisonneuve.