Trop rares sont les moments dans les aléas du quotidien où on se pause véritablement, où le temps ne peut que s'arrêter de par la puissance du «ici et le maintenant».

Un lieu de culte est propice à la chose. Par un violent vendredi soir d'hiver, 1500 personnes avaient l'honneur et le privilège d'être tassées solennellement dans l'Église Saint-Jean-Baptiste pour les spectacles d'Avec pas d'casque et de Philippe B, tous deux accompagnés du Quatuor Molinari et d'un orchestre de chambre.

Pas de service de bar, aucune distraction. Juste de la musique (signée par des poètes musicaux québécois parmi les plus talentueux de leur époque) qui s'élève magnifiquement entre des fresques dorées, des colonnes imposantes et des lustres grandioses, grâce à des éclairages majestueux.

Avant de chanter ses premiers mots, le parolier Stéphane Lafleur a pris un grand souffle, comme si tout ce qui l'entourait était plus grand que nature. Puis pendant Intuition #1, quand les arrangements de tous les musiciens ont atteint son comble avec la harpe en avant-plan, il a fait un hochement de tête de satisfaction.

Son geste disait tout. Tout était là. À la bonne place. Parfaitement. Les notes. Les éclairages. La balance sonore entre douceur et puissance.

«Merci d'être là. Sans votre présence, ce ne serait pas possible», a-t-il lancé au public avec son humilité teintée de gêne habituelle.

Comme prévu, Avec pas d'casque a interprété l'intégralité de son album Astronomie, en plus de sa chanson Walkie-Talkie, tiré de son nouveau EP Dommage que tu sois pris.

Parmi les moments de grâce, citons les harmonies des chanteuses de l'orchestre pendant Défrichage, les arrangements galopants de La journée qui s'en vient est flambant neuve, l'introduction de Talent (dont les violons urgents rappelaient Arcade Fire), et le lap-steel pendant Deux Colleys. Même le Jésus plâtré sur un crucifix en haut de l'autel devait se contenir pour rester de marbre.

C'était ensuite au tour de Philippe B, qui a fait naître tout ce beau projet avec Frédéric Lambert du Quatuor Molinari. Il est petit ce Philippe B, mais ses idées de grandeur ont fait du chemin. Remplir l'Église Saint-Jean-Baptiste à guichets fermés en partageant la scène avec Avec pas d'casque va peut-être de soi compte tenu de la qualité de l'offre, mais c'est aussi profondément rassurant sur les belles ambitions artistiques que peuvent nourrir des auteurs-compositeurs talentueux qui connaissent surtout un succès d'estime.

Pendant la prestation de Philippe B, les arrangements classiques prenaient forcément plus de place, son album Variation Frantômes (aussi interprété intégralement) regorgeant d'échantillonnages du répertoire classique. L'extrait des Quatre saisons de Vivaldi pendant L'amour est un fantôme et les arrangements de hautbois empruntés à Tchaikovsky pendant Chanson pathétique: quel mariage réussi.

Les éclairages investissaient l'espace avec un grand pouvoir évocateur. Entre les chansons, Philippe B a amusé la foule avec son charme maladroit et défaitiste. Des thématiques de son album puisent leur source dans la religion, a-t-il expliqué, dont la chanson Petite leçon de ténèbres, qui évoque une tradition ancienne d'allumer puis d'éteindre des cierges afin de symboliser le néant à la mort du Christ.

Philippe B a dit vouloir éviter de blasphémer bien qu'il ne fréquente généralement pas les églises. «On a beau croire en ce qu'on voudra, faut pas pousser sa luck

Il a bien raison: au-delà de la foi, le pouvoir de l'église -du lieu- est grand.

Le spectacle de vendredi à l'Église Saint-Jean-Baptiste n'avait peut-être rien de religieux, mais grâce aux musiciens et à tous ses artisans, c'était une cérémonie rendant hommage à la beauté des mots et à la puissance émotive de la musique.

C'était un grand moment présent.