Avec sa chemise sans manches sous sa veste noire, sa coiffure de jeune coq des années 60 et sa silhouette de rock star cryogénisé, Jeff Beck aurait l'air ridicule si le musicien en lui n'était pas encore, à 67 ans, en constante ébullition. Samedi soir à Wilfrid-Pelletier, Beck était exactement comme on l'a vu pour la première fois au même endroit à l'été 2009 puis huit mois plus tard avec son pote Eric Clapton au Centre Bell: un gamin peu bavard qui prend la pose, qui joue de sa guitare très volubile comme d'une mitraillette et qui donne avec un plaisir égal dans le fusion, le funk, le hard-rock, le rockabilly ou des musiques plus éthérées.

Ce concert était à la croisée des deux précédents, celui plus jazz-rock du Festival de jazz et l'autre où il s'offrait un orchestre d'une vingtaine de musiciens pour nous présenter les chansons de son dernier album Emotion & Commotion.

Mais le guitariste anglais nous avait réservé quelques surprises agréables: Rice Pudding, tirée de l'album Beck-Ola (1969) et dont l'énergie rock était intacte; Little Wing de Jimi Hendrix, très sentie, à la fois fidèle à l'esprit de l'ami Jimi mais très Jeff Beck par son solo de guitare; la joyeuse How High The Moon, en hommage au mentor Les Paul, mais dont la voix féminine enregistrée détonnait un peu dans ce concert en chair, en os et en sueur; et, en toute fin du rappel, rien de moins que Bad Romance de Lady Gaga, juste pour le plaisir.

Jeff Beck n'a vraiment rien à son épreuve. Le public acclame le guitariste imaginatif en totale liberté, capable d'un solo fou dans Hammerhead. Pour lui, tout a l'air facile et ses camarades, qu'il fixe du regard comme pour les inviter à en faire autant, s'amusent ferme, particulièrement le batteur musculaire Narada Michael Walden et la bassiste Rhonda Smith. Ces deux-là chantent même à l'occasion, lui sur Little Wing, elle de sa voix gutturale sur une Rollin' and Tumblin' un peu échevelée, puis les deux sur I Want To Take You Higher où le claviériste Jason Rebello préfère traiter sa propre voix électroniquement à l'aide d'un vocodeur. Quand vient son tour de chanter le succès de Sly and the Family Stone,

Beck laisse parler sa guitare plutôt que de nous faire entendre sa voix d'or...

S'il se prend au sérieux, Jeff Beck le cache très bien. Il faut un sacré culot, ou de l'inconscience, pour reprendre Nessun dorma, le célèbre air de l'opéra Turandot de Puccini. Pourtant, sans l'orchestre qui l'accompagnait au Centre Bell et malgré les synthés sirupeux de Jason Rebello - particulièrement envahissants pendant les pièces jazz-rock -, Beck s'en tire très bien tellement son jeu est poignant comme on l'a encore constaté dans People Get Ready de Curtis Mayfield - que Beck a déjà brillamment reprise avec Rod Stewart -, A Day in the Life des Beatles et la fort belle Mná na h'Éreann empruntée aux Chieftains.

Des moments comme ceux-là nous rappellent que le guitariste spectaculaire qui soulève les foules est aussi un interprète sensible.