Ça a commencé très doucement. Puis, d'un seul coup, d'un seul riff, le plafond du Métropolis a levé. Le groupe-culte bostonais Pixies, de retour en ville pour la première fois depuis son concert-réunion au CEPSUM il y a presque sept ans, a mis ses fans à genoux avec les chansons de son classique Doolittle, prétexte à cette nouvelle tournée. Et cela fut bon.

On sentait le public comme sur des blocs de départ. Peu après 21h, dans un Métropolis affichant complet - idem pour le deuxième concert au même endroit jeudi, et sans doute aussi pour les deux précédents à la salle Albert-Rousseau de Québec -, les fans se massaient au parterre lorsque l'écran LED qui maquillait l'arrière-scène s'est illuminé pour présenter un montage de scènes de Un chien andalou de Bunuel et Dali, prétendument l'une des sources d'inspiration derrière l'écriture de Doolittle.

Ah, oui, c'était étrange et fantastique, mais trop long. Les fans avaient beau crier, rien n'y fit. On attendra avant d'apercevoir les crânes dégarnis de Black Francis et Joey Santiago et le long manche de basse de Kim Deal (et son sourire, qu'elle a eu d'étampé au visage toute la soirée), allée se placer près de la batterie de David Lovering. Et même lorsque les premières notes du concert ont fini par résonner, elle résonnaient langoureusement, avec le groove lent et abrupte de Dancing the Mantra Ray, l'une des faces B offertes avant le plat de résistance.

Donc, après trois compositions plus obscures  - dont l'excellente cavalcade Weird at My School, déjà plus pimentée - et un public devenant de plus en plus nerveux, les Pixies ont allumé la mèche.

Un chapelet de notes de basse, une guitare électrique qui laboure tout sur son passage, les fans ont eu assez de trois secondes pour reconnaître Debaser... et littéralement exploser. À mes côtés, une jeune fan, sans doute encore une enfant lorsque Doolittle est paru en 1989, faisait la danse du pogo en hurlant comme une perdue. Fou comme ça.

Le reste de la foule était à peine plus contenu, mais tout aussi excité. Parce que Doolittle, ce n'est pas de la tarte. Un pur classique du rock alternatif; on ne le dira jamais assez, mais Nirvana n'aurait pas été Nirvana sans ce disque de la bande à Black. Une écriture pop déjà d'une impressionnante maîtrise - ce n'était, après tout, que le second disque des Pixies -, une facture musicale qui allie le garage des années '50 au new wave typique de la côte Est, abrasif comme ce n'était encore pas tout à fait permis chez les alternos.

Après Debaser, la provocante successions de montées d'énergie et de relâchements nommée Tame qui allait inspirer Smells Like Teen Spirit, puis, sur une note plus pop, le classique Wave of Mutilation. On reconnaît un album classique si ses trois premières chansons en sont, justement, des classiques.  

Sur scène, le quatuor était fidèle à lui-même, c'est à dire de marbre. On s'applique et on ne bouge pas. Le parterre a beau s'offrir une séance de crowd-surfing, Frank Black n'en bat pas un cil. Fallait cependant l'entendre chanter, sa voix élastique aussi à l'aise dans les hautes notes que dans les grognements, prêt à se déchirer le larynx quand la charge de guitares perce les haut-parleurs. La même voix qu'il y a vingt ans - non, il chante encore mieux, m'assuraient deux amis croisés à la fin du concert, enchantés par leur soirée.

L'album a défilé, dans l'ordre, et avec les jolies projections accompagnant chacune des chansons: I Bleed, Here Comes Your Man, Monkey Gone to Heaven (on en saute que pour retenir les plus mémorables interprétations), No. 13 Baby, There Goes My Gun, et l'atterrissage avec Silver et Gouge Away. Le groupe a offert une performance de haut niveau, le son était limpide, les Pixies biens dégourdis.

Restait encore deux segments de rappel, un premier avec la version «molle» de Wave of Mutilation (UK Surf), puis l'hallucinée Into the White, jouée dans un nuage de fumée artificielle nous empêchant de distinguer les musiciens sur scène. Puis, dernier rappel avec une autre sélection de hits, dont Velouria et Where Is My Mind? Bonheur, exaltation!

Doolittle, c'est le parfait «road album», pour reprendre l'appellation collant à ces groupes trouvant leur meilleur album pour prétexte à vendre des places de spectacle. Il rappelle combien les Pixies ont influencé leurs contemporains, il est généreux en bonnes chansons... et nous fait oublier, le temps d'une soirée, que les Pixies ont vieilli et que le meilleur de leur contribution au merveilleux monde de la musique semble malheureusement derrière eux.