La dernière fois qu'on les avait vus par ici, ensemble en tout cas, les membres originaux de Guns N' Roses n'avaient pas exactement fait bonne impression. C'était il y a 25 ans, en août 1992, et c'était dans le cadre d'une soirée mémorable au Stade olympique, mais pas pour les bonnes raisons.

L'histoire, vous la connaissez sans doute déjà, mais en gros, rappelons tout simplement que ce concert-là avait viré au cauchemar: un membre de Metallica, le chanteur James Hetfield, brûlé sur scène par une pièce pyrotechnique, puis les gars de Guns N' Roses, pas foutus de sauver la mise, qui avaient choisi de se pousser après quelques chansons. Cette mauvaise décision avait été suivie d'une émeute, le genre que l'on réserve habituellement aux soirs de conquête de Coupe Stanley.

Pour bien du monde, dont l'auteur de ces lignes, Guns N' Roses, c'était surtout ça: un groupe qui avait concocté un excellent premier album, Appetite For Destruction, mais qui était ensuite devenu trop gros pour son propre bien. Une popularité que les membres du band, de toute évidence, n'ont pu gérer.

Ce qui nous a menés à samedi soir, et à la nouvelle scène de l'Île Notre-Dame.

Nous, dans ce cas-ci, c'est quelque 32 500 personnes. Des jeunes, des moins jeunes, qui avaient choisi d'oublier 1992 et le Stade, pour aller voir de quoi il en retourne en 2017. Ce spectacle, c'était le premier de Guns N'Roses à Montréal en format original depuis l'émeute; on a bien vu le chanteur Axl Rose débarquer ici avec une bande d'anonymes il y a quelques années au Centre Bell, mais ça, ça ne compte pas.

Premier constat en arrivant sur la piste de F1 de l'Île Notre-Dame samedi soir: bien des choses ont changé depuis août 1992. Les Gunners ne sont plus que trois, en tout cas, trois de la première heure, soit le bon Axl, le guitariste Slash, et le bassiste Duff McKagan, jadis le «King of Beers», assagi depuis. Le trio était accompagné de quatre autres musiciens, que bien des gens auraient du mal à identifier si leur vie en dépendait. Impossible, donc, de parler d'une véritable réunion, mais bon, que Slash et Axl soient capables de partager une même scène sans se sauter à la gorge, c'est déjà quelque chose.

On devine d'ailleurs que c'est une somme d'argent colossale qui a permis de réunir ces deux-là, qui ne se sont à peu près pas regardés samedi soir. Exemple parmi tant d'autres: le solo de November Rain, magnifique à souhait, que Slash nous a servi seul dans son coin, juché sur une plate-forme près du batteur et non sur le piano de son chanteur. Pendant que le guitariste y allait de ses meilleures notes de la soirée, Axl l'énigmatique se contentait de pianoter de son côté, sans même lever les yeux pour regarder son vieux comparse.

Mais ça, c'est souvent le problème avec les groupes du passé qui reprennent du service après une longue chicane: c'est rarement «comme dans le temps». À commencer par Axl Rose, qui n'est plus le hurleur de qualité des années 80. La voix puissante d'autrefois fait parfois place à un genre de filet de voix un peu timide, par exemple pendant Yesterdays, ou pendant Rocket Queen, où un Axl à bout de souffle avait du mal à suivre les autres.

Il est bien sûr injuste de comparer un groupe à son lointain passé comme ça, mais ce sont les Gunners qui invitent eux-mêmes ces comparaisons, par exemple en commençant le spectacle de samedi soir avec It's So Easy et Mr.Brownstone, exactement comme ils le faisaient à la belle époque D'Appetite For Destruction, à la fin des années 80. Des titres de la même glorieuse période ont été servis pendant toute la soirée, et on a même senti la terre bouger sous nos pieds pendant Welcome To The Jungle en début de soirée, puis pendant Paradise City à la toute fin. Enfin, les gars de Guns N' Roses offrent aux fans ce qu'ils veulent. Ce qui est très bien, parce que ça n'a pas toujours été le cas.

À partir du moment où tout ça est compris et entendu, à partir du moment où on accepte que le Axl de 2017 ne sera jamais plus celui de 1988 ou 1991, il y a moyen d'avoir un immense plaisir à retourner en arrière avec ces trois-là. Ce que les fans montréalais ont joyeusement fait samedi soir, à en juger par les gros débordements d'enthousiasme provoqués par des titres tels Live and Let Die (la reprise des Wings, toujours efficace), You Could Be Mine, Civil War (de circonstance ces jours-ci, malheureusement) et bien sûr Sweet Child O' Mine, avec l'excellent jeu de Slash à la Les Paul, ce qui nous rappelle d'ailleurs que personne d'autre que lui ne devrait avoir le droit de jouer ce riff-là. Il faudrait même en faire une loi.

Slash, au fait, aura été le héros de cette belle soirée d'été. Avec Axl, c'est parfois bon, parfois moins bon, mais Slash, c'est la constance. Aucun riff n'est livré en demi-mesure, aucun solo n'est offert de manière désinvolte. Le type au chapeau haut de forme n'a rien perdu de son phrasé exceptionnel, comme il l'a très bien démontré toute la soirée. Son tour de guitare juste avant d'enchaîner avec le mythique riff de Sweet Child valait à lui seul le déplacement et la longue marche de 30 minutes qu'il a fallu se taper depuis le métro.

Duff McKagan, l'autre comparse de la première heure, s'est avéré lui aussi très solide derrière la basse, et son apport au micro ne saurait être sous-estimé. Il s'est même permis de prendre le micro fin seul le temps d'un beau clin d'oeil au défunt pirate du rock and roll, Johnny Thunders, à qui il a emprunté Can't Put Your Arms Around A Memory.

Mais revenons un peu à 1992. Autant le Guns N' Roses de cette époque frisait la démesure et la catastrophe (ou les deux en même temps), autant la version 2017 est efficace, même si la voix du chanteur est irrégulière.

Imaginez: samedi soir, les Gunners sont arrivés sur scène à 19 h 30 pile, eux qui n'ont jamais été des exemples de ponctualité. Ils ont joué comme ça pendant plus de trois heures, ce qui est environ deux heures et 20 minutes de plus qu'au Stade il y a 25 ans. «Ils savent que c'est mieux de ne pas nous placer vous et nous dans un stade», a ironisé Axl Rose au micro.

Après avoir livré Nightrain en fin de spectacle (l'une des meilleures performances d'Axl samedi soir, par ailleurs), le groupe originaire de Los Angeles a remis ça avec un rappel qui a tout arraché: Don't Cry, Whole Lotta Rosie d'AC/DC, Patience, The Seeker des Who, et puis Paradise City. «C'est bien de tout arracher sans vraiment tout arracher», a ajouté Axl, sourire en coin.

Alors voilà. Des hits à n'en plus finir, une météo qui a collaboré, un Axl de bonne humeur sur cette scène «à côté du puissant St-Laurent», comme il a tenu à le préciser lui-même. Et aussi des musiciens qui assurent, qui savent former un mur du son qui permet au chanteur de bien paraître même dans les passages plus difficiles. Oui, ce fut un réel plaisir que d'être là. Et maintenant, on peut dire que tout est pardonné.  

NDLR: Guns N' Roses a voulu imposer à nos photographes un contrat de cession illimitée de leurs droits d'auteur. Nous avons choisi de ne pas envoyer de photographe à leur concert d'hier. Nous ne publions donc pas de photo du concert.