En 2015, l'opus Vulnicura fut construit sur la douleur, nourri au sang de la rupture intime, mais aussi biberonné au sérum de la rédemption. Les fleurs et les plantes repoussées au terme de la catharsis, les oiseaux se sont remis à chanter, les prédateurs se sont remis à chasser, le soleil a percé les plafonds bas de l'atmosphère.

Ce fut l'érection d'Utopia.

Björk y dépeint un vivier post-industriel, continent utopique où triomphe la plénitude des forces créatrices. La narratrice y retrouve l'énergie de l'invective, mais aussi celle du pardon. Elle tourne la page, savoure sa liberté retrouvée, exprime l'envie de trouver le salut en menant de nobles combats, imagine un monde débarrassé de certains irritants, à commencer par le patriarcat.

Les mélodies et inflexions sont plus ou moins les mêmes depuis Sugarcubes, ce groupe qui nous a fait connaître cette grande artiste à la fin des années 80. L'approche viscérale de la voix et la simplicité mélodique sont restées les mêmes pendant que tout le reste n'a cessé de se transformer; diversité hallucinante d'environnements sonores visionnaires, foisonnants, parfois complexes, mutants.

Depuis Vulnicura, l'Islandaise travaille avec le Vénézuélien Arca, surdoué dont le travail électro se fonde aussi sur une opposition entre l'épure mélodique et des structures compositionnelles nettement plus complexes. 

Encore à 52 ans, Björk a le pif, sait s'associer aux meilleurs qui la propulsent devant sans la dénaturer.

Les airs de la chanteuse, compositrice, arrangeuse et réalisatrice se fondent ici dans un continuum de 71 minutes et 38 secondes réparties en 14 stations, micro-mouvements d'une symphonique électro-organique qui n'a que peu à voir avec la forme chanson.

Chants, choeurs ou mélodies puisent dans le Moyen Âge, la Renaissance, la période baroque ou la postmodernité. Flûtes, harpe, percussions, polyphonie et surimpressions, sons naturels et sons de synthèse amalgamés électroniquement, irruptions bruitistes ou atonales, grooves polyrythmiques, pics de densité, élans de passion, relâchements, recueillement.

La vie qui bat dans cette sonosphère donne sérieusement envie de s'y immerger, s'y perdre et ne plus en revenir.

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AVANT-POP, ÉLECTRO. Utopia. Björk. One Little Indian.