(Rouyn-Noranda) « C’est fort, les chansons », nous a dit Richard Séguin lors d’une courte entrevue, vendredi après-midi, au bord du lac Osisko, à Rouyn-Noranda. « C’est fragile, mais ça peut être fort. » Le soir venu, il passerait tout son spectacle à le montrer, avec le soutien inspiré de trois éblouissants guitaristes, capable d’en dire autant avec leurs instruments que le chanteur avec ses mots.

Richard Séguin avait fait une croix sur les spectacles en festival depuis plusieurs années. Mais la proposition du Festival des guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue était d’un genre qui ne se refuse pas : réunir sur scène quelques-uns des guitaristes pour lesquels il nourrit le plus d’admiration. Les presque 650 billets, mis en vente en mars, s’écouleraient en cinq minutes, forçant même la présentation d’une supplémentaire.

« Ça fait 20 ans qu’on nous invite », a lancé Richard Séguin juste après avoir amorcé, vendredi soir, ce spectacle d’ouverture de la 20édition du Festival des guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue. Les Rouynorandiens lui auront vite pardonné l’attente.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Richard Séguin

C’est que le légendaire chanteur avait non seulement convié ses guitaristes préférés, mais il alignerait, pour la première fois depuis trop longtemps, succès par-dessus succès par-dessus succès. À commencer, en lever de rideau, par En cherchant son étoile. Une chanson de route et de circonstance pour celui qui avait avalé dix heures et demie d’asphalte, mercredi, depuis son village de Saint-Venant-de-Paquette.

Venir à Rouyn-Noranda en avion ? « Ben là ! », s’est exclamé Séguin, amusé par notre absurde suggestion, lors d’une brève rencontre en après-midi au bord du lac Osisko. Avec son éternelle Marthe au volant, il aura employé ces kilomètres à apprendre ses textes de présentation, écrits pour ce spectacle créé spécialement pour le festival, et à se remémorer les paroles des nombreuses chansons qu’il n’avait pas interprétées depuis un bout.

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Richard Séguin en entrevue

« Le pays qu’on a marché, c’est le pays dont on se souvient », dira-t-il en présentant Et tu marches, et c’est aussi un peu vrai du pays qu’on a roulé.

D’instinct

À ses côtés vendredi soir, trois guitaristes, et pas les moindres : Simon Godin, son fidèle directeur musical, Hugo Perreault, qui l’a longtemps accompagné, mais qui le retrouvait sur scène pour la première fois en près d’une décennie, et le musicien atikamekw Ivan Boivin Flamand, une rock star née, avec ses verres fumés vissés au visage et son béret, ami du vétéran chanteur depuis sa dernière visite à Mani-Utenam.

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Ivan Boivin Flamand

« Ça fait du bien d’être ici », lancera un Séguin visiblement très heureux, après quelques chansons. Ce qui n’a rien d’étonnant. Cet ici, celui de l’Abitibi-Témiscamingue, est instinctivement intime à un homme dont le répertoire a toujours traduit ce que la vastitude du territoire peut inspirer de plus fort.

L’ange vagabond parle évidemment de Jack Kerouac, mais son retentissant « On the road again » pourrait aussi être celui de ceux et celles qui ont tout quitté pour venir s’installer dans ce pays où le paysage n’a pas toujours la grâce de celui des Appalaches, mais où il arrive qu’une épinette vous appelle par votre prénom, si vous lui accordez assez de votre patience.

Et Sous les cheminées ? « C’est sûr qu’ici, ç’a une autre résonance », a observé Séguin en entrevue, bien conscient, impossible de les ignorer, que les cheminées de la Fonderie Horne se dressent pas loin, à quelques mètres à peine du Centre des congrès sur la scène duquel il allait monter.

À la mémoire de Réjean Bouchard

La guitare a toujours été un outil révolutionnaire, Séguin le rappellera en dépoussiérant Sur un air de Guthrie, son hommage au prénommé Woody, sur l’instrument sur lequel étaient gravés les mots « This machine kills fascists ». La guitare n’a peut-être pas littéralement tué beaucoup de fascistes, mais elle continue indéniablement d’ouvrir les cœurs, ce qui n’est déjà pas rien.

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Richard Séguin, bien entouré

Un solo n’est qu’une démonstration stérile d’habileté manuelle s’il n’assouplit pas quelque chose chez ceux et celles qui le reçoivent. Simon Godin, Hugo Perreault et Ivan Boivin Flamand sont en ce sens des adeptes de la philosophie de Réjean Bouchard, disparu en juillet 2023 à l’âge de 67 ans. C’est lui, un des plus grands guitaristes au Québec, qui aura été l’architecte du son des guitares des albums les plus connus de Séguin, comme Aux portes du matin et D’instinct. Réjean Bouchard choisissait chaque note comme on enfile des perles dans un collier.

Beau souvenir que celui de voir Séguin, pendant les répétitions d’avant-midi, descendre des planches, afin de regarder les photos de son ami en allé, projetées sur les écrans bordant la scène, durant la portion du spectacle célébrant son legs.

Richard Séguin en répétition
  • Richard Séguin en répétition

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Séguin semblait ému et nous l’étions tout autant pendant En haut, une composition de Bouchard, jouée par Ivan Boivin Flamand avec une ferveur qui ressemblait beaucoup à ce que l’on pourrait simplement appeler de l’amour ou de la gratitude. Il venait de le décrire comme « [son] grand-père, un mentor ».

J’ai l’ai toujours vu comme un homme libre, libre dans sa musique et dans sa vie. C’était un chercheur de lumière.

Richard Séguin, à propos de Réjean Bouchard

Et de la lumière, il y en avait partout vendredi, à commencer par les yeux d’un Séguin joueur, jasant et généreux, qui nous faisait un cadeau, oui, mais qui s’en faisait d’abord un à lui.

« Tu cherchais qui, tu cherchais quoi ? »

À 72 ans, Richard Séguin a aussi fort probablement offert à Rouyn-Noranda, en tombée de rideau, la version définitive de L’ange vagabond, une relecture héroïque, épique, habitée, vaste comme un continent, digne de la version électrifiée de Youngstown que Springsteen joue sur scène avec Nils Lofgren.

Ébloui, Séguin regardait le claviériste Jean-Sébastien Fournier et son batteur Alexis Martin avec au visage un air de pure incrédulité face à l’expressive agilité de ses guitaristes.

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Richard Séguin, reconnaissant

« Tu cherchais qui, tu cherchais quoi ? » Pendant qu’Ivan Boivin Flamand et Simon Godin arrachaient à leurs instruments des feux d’artifice, plus personne ne cherchait quoi que ce soit. Nous avions le moment présent. Nous avions trouvé la lumière, celle que seule une guitare peut faire jaillir.

Les frais d’hébergement et de déplacement pour ce reportage ont été payés par le festival, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.

Le Festival des guitares du monde se poursuit jusqu’au 1er juin.

Consultez le site du festival