Ce samedi, J. Kyll, Imposs et Dramatik se réuniront sur scène au festival Santa Teresa. Le trio promet une énergie semblable à celle qui a alimenté la création de son premier album, Mentalité moune morne, qui soufflera dans quelques jours ses 25 bougies.

« C’est presque une œuvre céleste quand nous trois nous rassemblons », illustre poétiquement Dramatik au téléphone.

Nous devions le rencontrer avec la sœur et le frère au studio de ce dernier, mais les horaires chargés de chacun en ont décidé autrement. Cela explique en partie pourquoi les rassemblements de Muzion sont espacés. Mais pas seulement. Nous y reviendrons.

Nous souhaitions parler à ses membres depuis un moment, car nous nous doutions que le 25anniversaire de Mentalité moune morne serait souligné d’une certaine façon. Un spectacle aux Francos semblait une évidence. « Ça a failli se passer, mais pas ce coup-ci », justifie sommairement Imposs, qui y participera en solo, le 15 juin.

Muzion est toutefois au menu de la soirée hip-hop prévue ce samedi, à Sainte-Thérèse. Ziak, Loud Lary Ajust, Caballero et JeanJass y seront aussi. « Ça va être un gros party qui va nous permettre de revenir à la base, à l’ambiance des shows dans des bloc partys qui ont mené à la création de l’album. L’idée d’inviter les gens à venir festoyer avec Muzion à l’état le plus pur m’allume énormément, s’enthousiasme Jenny Salgado, alias J. Kyll.

Les débuts

Puisque cette époque des cyphers dans les parcs et des freestyles entre amis est à l’origine du groupe, nous avons demandé aux trois rappeurs de nous ramener dans les années 1990.

« À cet âge, tu ne sais pas si c’est un jeu ou si c’est viscéral. Tu as un feeling en dedans de toi, une émotion, et tu essaies d’y répondre, indique J. Kyll. Notre expression artistique se faisait en gang, avec ceux avec qui on trouvait une appartenance. On est dans Saint-Michel, dans le hood, dans une réalité qui est la nôtre, mais qui ne traverse pas les murs du quartier. Si tu regardes au-delà, ça ressemble à un autre pays. »

Son frère, Stanley Salgado, alias Imposs, souligne qu’elle a été la première de la famille de mélomanes à manifester le désir de devenir artiste. Alors qu’il s’amusait à lancer quelques rimes en anglais avec ses copains, elle chantait dans un groupe alternatif et écrivait de la poésie.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jenny Salgado, alias J. Kyll

On nous a appris à être sages, à ne pas trop déranger l’ordre établi. Quand j’ai pris le micro, j’ai commencé à crier, à faire les choses à ma manière. Oui, c’est un trip, mais chaque fois que tu le fais, tu vois l’impact sur ceux qui t’écoutent. De fil en aiguille, le jeu devient un mouvement.

Jenny Salgado, alias J. Kyll

« Elle a amené le rêve à la maison », ajoute Imposs.

Pendant ce temps, Jocelyn Bruno, alias Dramatik, vit la même effervescence à Montréal-Nord. Il rappe toujours en anglais lorsqu’il rencontre J. Kyll lors d’une réunion avec LD-One, Spook et les autres artistes du nouveau collectif Akadémia. Son existence est brève, mais la « connexion naturelle » entre Jenny et Dramatik devient une amitié qui s’exprime rapidement en rimes et en rythmes.

« Muzion est né dans ce meeting-là, sans même qu’on le sache, indique-t-elle. Il y avait des partys chaque vendredi chez Drama. Mon appartement, c’était le spot de rassemblement. On s’est dit : pourquoi ne pas matérialiser le tout ; l’enregistrer, le distribuer, le faire entendre. »

Extrait de Le Concept (Tome 3), de Muzion
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Muzion enregistre ses premiers morceaux avec les moyens du bord. Les stations de radio communautaires les font jouer et les performances devant public s’accumulent.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Jocelyn Bruno, alias Dramatik

Grâce à ces shows solides, on s’est forgé un nom qui nous a permis d’aller aux Francofolies de La Rochelle [en France] et de participer aux FrancoFolies de Montréal en 1997.

Jocelyn Bruno, alias Dramatik

Des représentants de l’industrie font partie des foules qui se rassemblent pour voir Muzion. L’importante étiquette BMG offre un contrat au groupe sans intervenir dans la création de l’album déjà entamée.

« Dubmatique avait eu énormément de succès et toutes les maisons de disques voulaient leur part du gâteau. Mais ils n’avaient aucune idée comment faire du hip-hop, même la forme populaire du style. Ils nous ont laissé carte blanche pour faire ce qu’on voulait », indique J. Kyll.

« Puis, quand ils sont venus frapper à notre porte, ils sont tombés dans la rue, ajoute Imposs en riant. Le parler montréalais de la rue, l’influence du créole sur la langue française, certains anglicismes. On représentait le premier pont entre les quartiers et le grand public. »

L’album

Au printemps 1999, les vidéoclips Rien à perdre et Lounge with Us tournent régulièrement à MusiquePlus, mais c’est la chanson La vie ti nèg qui permet à Muzion de rejoindre un vaste public.

« C’était comme un nouveau jour, estime Imposs. Beaucoup d’artistes avant nous ont fait de grandes choses, mais la rue de Montréal en connexion avec le Québec au complet de cette manière, c’était une première. »

« L’une des raisons pour lesquelles Muzion a connu un succès qui a perduré est qu’on raconte la réalité d’enfants de l’immigration d’un pays où il y avait une certaine misère, mais où il y avait aussi une certaine richesse, croit J. Kyll. On a créé une œuvre qui est à la fois rassembleuse, festive, mais aussi intègre et réaliste. Le côté sombre de l’album est illuminé par quelques morceaux. On est fiers de vous inviter chez nous, parce que chez nous, c’est aussi chez vous. Ce qui sort des quartiers est purement québécois. »

Les disques de Rainmen, de Sans Pression et d’Yvon Krevé lancés à la même époque ont donné naissance à ce qui allait devenir le rap queb. « Mentalité moune morne fut une explosion de possibilités qui a semé une graine dans la tête de plein d’autres artistes », soutient Dramatik.

La suite jusqu’à aujourd’hui

L’effet a été le même dans la tête des trois membres. En plus de J’Rêvolutionne, paru en 2002, ils ont tous sorti des albums solos et exprimé leur créativité de différentes façons : photographie, documentaires, littérature. Ils sont également actifs dans leur communauté.

Le livre Muzion : le rap québécois expliqué aux enfants a aussi récemment été lancé. L’auteur Olivier Boisvert-Magnen, l’illustratrice Niti Marcelle Mueth ainsi que les trois membres seront à la librairie Racines, rue Saint-Hubert, le 18 mai.

L’expérience ne sera pas celle du spectacle de samedi, mais reste une rare occasion de rencontrer le groupe au complet.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stanley Salgado, alias Imposs

Quand on se réunit, je vois ça comme un évènement. J’encourage les gens à le voir comme ça aussi.

Stanley Salgado, alias Imposs

« On ne va pas éparpiller Muzion dans une espèce de temporalité où on va être vus continuellement. On ne va pas brûler le symbole en voulant presser le citron », conclut J. Kyll.

Muzion au festival Santa Teresa, le 11 mai, à 18 h 15. Lancement de Muzion : le rap québécois expliqué aux enfants, d’Olivier Boisvert-Magnen (auteur) et Niti Marcelle Mueth (illustratrice), le 18 mai, à 13 h, à la librairie Racines.
Imposs aux Francos de Montréal, le 15 juin, à 19 h

Consultez la page du spectacle au festival Santa Teresa Consultez la page du spectacle d’Imposs sur le site des Francos Consultez la page Facebook du lancement du livre
Muzion : le rap québécois
expliqué aux enfants

Muzion : le rap québécois
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Éditions de la Bagnole