Montréal est-il toujours un arrêt incontournable pour les vedettes en tournée internationale ? Oui… et non. Entre l’appât des festivals et la concurrence avec Toronto, la métropole s’en sort plutôt bien.

L’aura de Montréal a-t-elle pâli ?

Certes, les Beyoncé, Coldplay, Harry Styles, Ed Sheeran et Taylor Swift ont tous fait l’impasse sur Montréal lors de leur plus récente tournée. En revanche, des poids lourds de la musique pop sont attendus au Centre Bell cette année, dont Olivia Rodrigo, Nicki Minaj, Burna Boy et Noah Kahan. Et dans les prochains mois, d’autres artistes internationaux annonceront leurs tournées d’envergure et, pour certains, un arrêt dans la métropole québécoise.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Burna Boy au festival Osheaga en 2022

« Montréal est vraiment pas mal situé [sur l’échiquier]. Pour la taille de la population et du marché, il demeure un endroit où l’offre internationale, en termes de grandes tournées, on est tout à fait dans les normes », explique Martin Lussier, professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les dernières années ont néanmoins pu donner l’impression que la ville n’était pas sélectionnée pour certaines des plus prestigieuses tournées.

L’aura de Montréal est peut-être moins importante qu’elle a pu l’être à l’époque où les artistes internationaux voulaient passer par ici parce que c’était un lieu qui permettait de donner de la crédibilité à leur tournée.

Martin Lussier, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM

Cela étant dit, « les choses n’ont pas vraiment changé » et il est faux de dire que c’est pire qu’avant, affirme Nick Farkas, vice-président à la programmation chez le promoteur evenko. « C’est beaucoup plus fort depuis la COVID-19, même. On n’avait jamais eu deux dates de Depeche Mode ou deux dates de Burna Boy avant. On vient de le voir avec Madonna aussi et on va le voir avec Olivia Rodrigo. On n’avait jamais autant vu de doublés comme ça. »

Des artistes en « résidence »

Si les choses vont plutôt bien, il est indéniable que Montréal n’a pas su retenir l’attention de certains des artistes les plus populaires du moment. Le marché des tournées est en mutation et Montréal n’a plus le pouvoir d’attraction qu’il a déjà eu.

La pandémie est à considérer dans l’analyse de ce « nouveau contexte », constate Martin Lussier. « Les grands producteurs sont encore en gestion du capital après cette période », rappelle-t-il.

« En ce qui concerne les grands artistes populaires dans le mainstream, [cela] fait qu’on va chercher les villes où il y a une capacité plus importante de remplir une salle, avec des fans qui vont payer un prix fort, observe pour sa part Danilo Dantas, expert de HEC Montréal en stratégies professionnelles et entrepreneuriales des musiciens autonomes. On cherche les marchés les plus intéressants et on se concentre sur eux. Donc ça permet moins d’efforts pour plus de retours [sur l’investissement]. »

Plusieurs artistes décident ainsi de faire 5, 10 ou même 15 dates de suite au même endroit, laissant aux fans la tâche de se déplacer pour aller les voir.

Il y a une tendance un peu plus du style de ce qui se fait [dans les résidences] à Las Vegas. Depuis la COVID-19, certains artistes essayent de rester à une place plus longtemps, ce qui peut être plus simple pour eux.

Nick Farkas, vice-président à la programmation chez le promoteur evenko

Taylor Swift et sa tournée Eras sont le meilleur exemple de cette nouvelle tendance : l’artiste américaine a donné un total de 60 spectacles en 2023, mais n’a visité que 24 villes. Drake, lui a présenté un total de 43 spectacles au courant de l’année, en ne s’arrêtant que dans 27 villes, dont Montréal pour deux fois au Centre Bell.

PHOTO JEENAH MOON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Drake au Barclays Center de Brooklyn dans le cadre de sa tournée It’s All a Blur Tour

« En faisant une série de spectacles dans la même ville, on gagne du temps de montage et de démontage et on économise des coûts de transport, ajoute Danilo Dantas. Il ne faut pas oublier aussi que l’artiste est un être humain, qui n’a lui aussi que 24 heures dans sa journée, qui a besoin de repos. La vie familiale peut aussi entrer dans l’équation. Ce ne sont pas des machines. »

Trop proche, Toronto ?

La présence de Toronto à quelque 500 kilomètres de Montréal, d’ailleurs, pèse dans la balance quand vient le temps d’attirer des artistes dans la métropole québécoise. L’artiste à la tournée la plus lucrative en 2023, Beyoncé, a présenté deux concerts à Toronto, mais n’a pas mis les pieds à Montréal.

PHOTO THE NEW YORK TIMES, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Beyoncé au Centre Rogers de Toronto en juillet 2023

Selon une étude de Radical Storage, la Ville Reine est la plus visitée par les tournées mondiales, tandis que Montréal se classe en huitième position. « Montréal reste toujours dans le top 20 des villes nord-américaines en ce qui concerne les endroits les plus joués, dit Nick Farkas. C’est rare qu’on ne soit pas sur une grande tournée. Mais quand c’est une tournée réduite, c’est possible qu’il n’y ait que Toronto, ce qui est compréhensible, puisqu’on est le tiers de la population de Toronto à Montréal. »

Nick Farkas donne toutefois le contre-exemple de Metallica : le groupe de métal, particulièrement populaire au Québec, a décidé de présenter deux spectacles au Stade olympique de Montréal plutôt que de s’arrêter à Toronto. Mais c’est peut-être l’exception qui confirme la règle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Metallica au Stade olympique en 2023

On paye un peu le prix de la proximité [de Montréal] avec les grands centres. Il y a Toronto. Il y a aussi New York, qui n’est pas si loin. Les vrais fans n’hésitent pas à se déplacer, et les artistes le savent.

Danilo Dantas, expert de HEC Montréal en stratégies professionnelles et entrepreneuriales des musiciens autonomes

« Une fois qu’une personne a payé 300 $ pour son billet de concert, le coût du déplacement et de l’hébergement à Toronto fait aussi partie du calcul des dépenses, et ça semble peut-être une dépense pas si importante, qui en vaut la peine », ajoute-t-il.

Sans « vrai » stade, pas de Taylor

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Taylor Swift au SoFi Stadium de Los Angeles

Les gigatournées, comme celles de Taylor Swift ou de Beyoncé l’an dernier, requièrent des infrastructures tout aussi gigantesques. La plus grande structure fermée en ville reste le Centre Bell, avec ses 21 000 places. Montréal a bien son Stade olympique, muni de 56 000 sièges, mais le lieu n’a pas l’attrait d’un Yankee Stadium (à New York) ou d’un SoFi Stadium (à Los Angeles). Le toit n’est pas en état, l’acoustique laisse à désirer… Si le Parc olympique, à l’extérieur, permet la tenue de grands évènements (les festivals Metro Metro et Fuego Fuego s’y déroulent notamment), il est bien plus difficile de convaincre des artistes d’installer leurs spectacles dans le Stade.

« Les Beyoncé ou les Taylor Swift, leur production est énorme et ça ne fonctionnerait pas dehors, dans un festival, dit Nick Farkas. C’est sûr qu’on aurait plus de spectacles de cette ampleur si on avait un stade qui pouvait [les accueillir]. »

Alors, faudrait-il investir dans le Stade ? Nick Farkas reste prudent. « Je ne peux pas répondre directement, mais je sais qu’on se fait demander si le toit va être refait, par exemple. Il y a beaucoup de questions. C’est sûr que ça inciterait des artistes à venir jouer au Stade. »

La cote d’amour de Montréal

Bien des facteurs affectent de nos jours la décision de jouer, ou non, à Montréal. Certains sont tout à fait aléatoires, comme la question des disponibilités. Si un artiste se retrouve dans l’est de l’Amérique du Nord, mais que la salle dont il aurait besoin n’a pas de date vacante, « ce sont des choses qu’on ne peut pas contrôler », affirme Nick Farkas.

N’empêche, la métropole reste reconnue pour la façon dont son public accueille les artistes pendant leurs spectacles, assure Nick Farkas. Et en plus d’être accueillant, le public montréalais est friand de spectacles : « On vend beaucoup, beaucoup de billets », affirme Nick Farkas.

Et si Toronto dispose de l’avantage du nombre ainsi que de la présence du Centre Rogers et de l’aréna Banque Scotia – pouvant accueillir respectivement jusqu’à 55 000 et 19 800 spectateurs –, Montréal offre quelque chose que Toronto n’a pas : ses festivals.

Les festivals mettent Montréal sur la map. D’avoir autant de festivals avec autant de styles, ça nous donne une occasion de faire venir des artistes qui ne se seraient pas arrêtés en tournée.

Nick Farkas, vice-président à la programmation chez le promoteur evenko

Kendrick Lamar, par exemple, n’avait pas Montréal dans son plan de tournée. « Mais il est venu jouer à Osheaga [l’été dernier], souligne Nick Farkas. Donc des artistes qui n’allaient pas venir, on est capables de les convaincre de venir pour jouer devant les énormes foules de nos festivals. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Kendrick Lamar en concert à Montréal dans le cadre du festival Osheaga l’été dernier

Sans compter que des artistes de tous les genres musicaux peuvent maintenant trouver un festival qui leur convient dans la métropole : Lasso pour la musique country, Fuego Fuego pour la musique latine, Metro Metro pour le rap, ÎleSoniq pour la musique électronique, sans oublier Osheaga, qui couvre à lui seul un large éventail.

« [Les festivals] sont un facteur d’attraction qui met Montréal sur la route de grands artistes, même si notre période est restreinte à cause de la température, note Danilo Dantas. Mais je pense que ça reste un facteur très important dans cette grande équation des tournées majeures. »