Dans la foulée de la célébration du cinquantenaire de l’album The Dark Side of the Moon, Roger Waters a décidé de se réapproprier l’œuvre monumentale qu’il a contribué à créer alors qu’il était membre de Pink Floyd. Il est donc retourné en studio pour donner une nouvelle vie aux pièces écrites en 1973, que l’on peut entendre sur The Dark Side of the Moon Redux, lancé vendredi. Est-ce pertinent ? La question se pose.

D’entrée de jeu, Roger Waters a déclaré en entrevue que The Dark Side of the Moon était sa création. « Laissez-moi tranquille avec ces conneries », a dit le bassiste au Telegraph l’hiver dernier, quand il a révélé avoir réenregistré les chansons. « Bien sûr, nous étions un groupe, nous étions quatre et avons tous contribué – mais c’était mon projet et je l’ai écrit. »

Importante contribution

Roger Waters a effectivement pondu les textes de toutes les pièces, mais Nick Mason, Richard Wright et David Gilmour ont tous été impliqués dans la composition de plusieurs morceaux. C’est sans compter la signature sonore si particulière de Pink Floyd, impossible sans la contribution des quatre membres – on peut ajouter au cocktail le clairvoyant travail d’Alan Parsons, ingénieur sonore de l’album.

PHOTO TIRÉE DES ARCHIVES DE PINK FLOYD

David Gilmour et Nick Mason en 2014

La première version a le statut d’autorité de l’œuvre, et pour The Dark Side of the Moon, c’est le fruit de 50 ans d’appréciation et de critique, c’est ainsi que toute la magie est venue opérer. Dépouiller des chansons de leur sens premier, je trouve que c’est culotté.

Danick Trottier, professeur en musicologie à l’UQAM

Roger Waters a simplifié les arrangements musicaux en ajoutant des passages narrés dans les pièces instrumentales, certains plus triviaux, d’autres certainement plus sentis. « C’est à partir de Dark Side of the Moon que Roger Waters va se révéler en tant que créateur, rappelle M. Trottier. À travers cette relecture, il a le désir de retirer ce qui lui appartient moins, comme les solos de guitare de David Gilmour. »

Exit en effet les solos et les accents de bottleneck du guitariste, qui ont défini le son de Pink Floyd à partir du début des années 1970.

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Roger Waters de passage à Montréal en mars 2016

Gérald Côté, ethnomusicologue de l’Université Laval, ne mâche pas ses mots quand vient le temps de qualifier l’exercice de Roger Waters.

« C’est triste... Dans sa version de Money, tu as l’impression d’écouter une musique sans âme, c’est d’une mollesse douloureuse, affirme-t-il. Waters est un auteur-compositeur absolument génial, mais là, ce n’est pas à la hauteur. On ne peut pas dissocier la profondeur musicale de Pink Floyd de son architecte principal ; séparer les deux, c’est appauvrir Pink Floyd. C’est pour ça que j’ai de la difficulté à croire que ce n’est pas une expression du conflit qui perdure depuis 30 ans. »

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Querelle intestine

En effet, difficile de ne pas faire de lien avec la querelle qui a mené au départ de Roger Waters en 1984 et qui persiste encore à ce jour. À preuve, David Gilmour a partagé jeudi la publication du documentaire The Dark Side of Roger Waters, une réalisation du journaliste John Ware de la BBC qui tend à démontrer les comportements antisémites de Roger Waters.

En février dernier, c’est la femme de Gilmour, l’écrivaine Polly Samson, qui a accusé le bassiste d’être antisémite, en plus d’être un « apologiste de [Vladimir] Poutine et un mégalomane menteur, voleur, hypocrite, misogyne, un fraudeur fiscal et un envieux maladif ». C’était quelques jours seulement après que Waters eut annoncé à un quotidien berlinois qu’il allait faire la relecture du disque The Dark Side of the Moon, entrevue dans laquelle il n’a pas manqué d’alimenter la controverse relativement à sa position ambiguë par rapport au dirigeant russe.

PHOTO TIRÉE DES ARCHIVES DE PINK FLOYD

Richard Wright, David Gilmour, Roger Waters et Nick Mason

Loin de vouloir faire preuve de contrition, Waters s’en est aussitôt vertement pris à ses anciens collègues :

« Gilmour et Rick [Wright] ne sont pas capables d’écrire des chansons, ils n’ont rien à dire, ce ne sont pas des artistes, a dit Waters au Telegraph, sans filtre aucun. Ils n’ont pas d’idées [...] ils n’en ont jamais eu, et ça les rend fous. » On doit préciser ici que Richard Wright est mort en 2008...

Pourtant, The Dark Side of the Moon était l’œuvre du groupe, beaucoup plus en fait que les albums suivants de Pink Floyd. « Le disque original est un travail collectif et tout ça est gommé avec la relecture de Waters, soutient Danick Trottier. Il démontre encore à quel point son ego est grand. Mais il a aussi une conception très classique de la musique, selon laquelle une œuvre est perfectible à travers le temps ; c’est quelque chose qu’on a toujours vu en musique classique. Souvent, il peut exister plusieurs versions d’une même œuvre. »

« En ce sens, Waters fait de Redux une œuvre très personnelle, presque testamentaire, enchaîne le chercheur. Les derniers projets des grands de la musique ont justement toujours une touche très personnelle ; si on prend sa relecture sous cet angle, on peut mieux apprécier le projet. »

Danick Trottier admet toutefois que proposer une nouvelle version d’un vieil album peut apparaître comme une voie de compromis qui peut sembler facile. Certains pourraient certainement y voir une démarche opportuniste. « L’album a 50 ans, tout ça s’inscrit dans la foulée des célébrations, soutient justement Gérald Côté. C’est certainement une belle occasion de créer l’évènement et d’en tirer profit. »

The Dark Side of the Moon Redux

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