L’autre jour à Tokyo, il a fait plus beau qu’en moyenne partout ailleurs. Et samedi soir au MTELUS, il a fait plus chaud que n’importe où au Québec grâce aux Trois Accords, qui amorçaient devant une foule composée de joyeux représentants de tous les âges la tournée de leur septième album, Présence d’esprit.

Moment attendrissant. Au haut des escaliers qui mènent aux toilettes du MTELUS, face au petit mur séparant à gauche les toilettes des femmes de celles, à droite, des hommes, un père tient doucement, mais fermement, les épaules de sa fille de 7 ou 8 ans, dont il s’agit sans doute d’un des premiers spectacles à vie.

D’après les bribes de conversation que nous captons au passage, l’homme rappelait à sa progéniture des consignes à travers lesquelles ils avaient déjà dû repasser à plusieurs reprises : à sa sortie des toilettes, la petite devait attendre le retour de son père, et surtout ne pas s’aventurer toute seule dans la foule très dense. Promis, ma chérie ? Oui, papa, promis.

Il y a 20 ans, en 2003, Les Trois Accords faisaient paraître avec de petits moyens le Gros Mammouth Album, et il est aisé d’oublier à quel point, malgré le phénomène culturel que sont devenus Hawaiienne et Saskatchewan, personne ne donnait cher de l’avenir de ces trublions ayant pour principales influences Paul et Paul, Weezer et le skate punk californien. Deux décennies plus tard, Simon Proulx, Alexandre Parr, Pierre-Luc Boisvert et Charles Dubreuil forment pourtant un des groupes québécois revendiquant la plus importante longévité.

Des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des parents et des enfants dans leurs t-shirts trop grands à l’effigie de leur band préféré ; samedi soir au MTELUS, tout le monde et sa grand-mère étaient là. Et tout le monde capotait.

Les Stones de Drummondville (genre)

Pour référence : 20 ans après le lancement de leur premier disque, les Rolling Stones venaient de conclure la tournée de leur album Tattoo You et de révéler son successeur, le très moyen Undercover. Autrement dit : leurs dernières grandes chansons étaient déjà derrière eux.

Les Trois Accords, eux, conjuguent toujours leur œuvre au présent et ajoutent sans cesse des refrains essentiels à un catalogue d’une profondeur qui leur permettrait pourtant, s’ils arrêtaient dès maintenant d’enregistrer de nouveaux albums, d’être invités jusqu’à la fin des temps dans tous les festivals de la province.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Simon Proulx, des Trois Accords

Les espiègles drummondvillois ont cependant en commun avec les Stones de ne pas lésiner sur les hits et de ne pas abuser de leur matériel neuf. Bien que liée en théorie à Présence d’esprit, leur plus récent album, cette nouvelle tournée pige en parts presque égales dans chacun de leurs sept disques, le petit dernier étant à peine plus représenté que les autres (5 titres sur 21).

Même si l’on connaît pertinemment la richesse de leur catalogue, il y a quelque chose d’époustouflant à entendre une à la suite de l’autre J’aime ta grand-mère, Elle s’appelait Serge et Grand champion. Aux incontournables Vraiment beau, Dans mon corps et Tout nu sur la plage, le quatuor continue donc d’additionner de jeunes classiques, comme Ouvre tes yeux Simon ! (2018), offerte juste avant le rappel.

Combien d’artistes peuvent terminer un spectacle avec une chanson tirée de leur sixième et avant-dernier album, sans que personne ne sente qu’on abuse de sa bonne volonté, au contraire ? Non, il n’y a pas de remède au sens de la mélodie de Simon Proulx. Le rythme le possède, et nous sommes victimes de la danse.

De l’émouvant pâté chinois

Pâté chinois, une ode à l’amour filial tirée de Présence d’esprit, entre pour sa part dans la même catégorie que Le bureau du médecin, celle des chansons qui font sourire jusqu’à ce qu’elles fassent pleurer, et aura procuré au spectacle de samedi un de ses plus mémorables moments de communion. Claude Meunier aurait été fier d’entendre autant de gens entonner en chœur le nom du plat ayant causé tant de tracas à sa Thérèse.

Dans un monde où à peu près plus personne ne se méfie du pathos, Simon Proulx est un de ces rares auteurs-compositeurs qui ne peut s’empêcher de désamorcer par une ligne absurde ses textes les plus purement touchants.

L’ironie : cette salutaire retenue exacerbe la puissance émotive de ses créations (presque) sérieuses. Costume de bain est quant à elle une énième preuve que Les Trois Accords sont les plus fiables fournisseurs de chansons des Strokes à ne pas s’appeler les Strokes.

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Les Trois Accords sur la scène du MTELUS

Épaulés par Gabriel Gratton aux claviers et Mélissa Lavergne aux percussions (ayoye, le solo de bongos dans Les amoureux qui s’aiment), les vétérans à l’esprit éternellement juvénile ont conclu la soirée par ce qui est désormais leur You Can’t Always Get What You Want à eux, Les dauphins et les licornes, « une chanson qui parle des animaux », dixit Simon Proulx, mais qui encapsule parfaitement l’état d’euphorie dans lequel quiconque se trouvait à la sortie.

« Demain, on va s’appeler et on va se dire que ça valait la peine », a lancé le chanteur en présentant Saskatchewan. Sortir de chez soi pour aller entendre Les Trois Accords, ça vaut effectivement toujours la peine.

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