Joints à Seattle au beau milieu de leur tournée nord-américaine qui s’arrête à Montréal pour deux concerts en fin de semaine, le pianiste et compositeur cubain nommé sept fois aux Grammy Omar Sosa et le Sénégalais et joueur de kora Seckou Keita sont dans l’œil de notre caméra.

« C’est notre deuxième escale à Seattle ensemble, mais ma treizième en carrière, I’m getting old, man ! », avoue l’impénitent défricheur Omar Sosa, 58 ans, qui a frayé avec le spoken word, le hip-hop, les musiques indiennes ; pour lui comme pour d’autres, les frontières n’existent pas.

« Nous sommes tous des frères et sœurs, affirme-t-il, c’est important de créer des liens parce que c’est à mon humble avis la meilleure façon de grandir, d’évoluer. Et c’est avec les musiciens africains que je me connecte le mieux. »

En 2009, il a souligné le 50anniversaire de la parution de Kind of Blue de Miles Davis avec des interprétations afro-cubaines du grand classique du trompettiste. En 2003, il a été honoré par le Smithsonian Institute pour sa contribution au rayonnement du jazz latin aux États-Unis.

La Presse a déjà vu le sorcier en action, plonger sa tête à l’intérieur de l’habitacle de son piano pour activer manuellement les marteaux qui frappent les cordes, voulant farouchement en extraire des sons inédits !

PHOTO RENÉ VAN DER VOORDEN, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’OMAR SOSA

Omar Sosa

On lui parle du compadre pianiste Chucho Valdés (6 juillet au FIJM) et de la science du clave, cette unité de mesure des tempos si caractéristique à la musique cubaine : « C’est la colonne vertébrale de notre musique », admet-il.

Cuba est-il une province de l’Afrique ? Je continue à le penser. Quand Seckou et moi fusionnons nos tempos, cela donne ce que l’on pourrait désigner comme étant de la musique afro-cubaine moderne.

Omar Sosa

Suba, le grand frisson

Maître de la kora et du djembé, chanteur sénégalais né d’une famille de griots et de bardes de génération en génération, Seckou Keita est arrivé au Royaume-Uni à 21 ans à la fin des années 1990.

« J’ai assimilé tous les rudiments de la musique traditionnelle du Sénégal et j’avais besoin de découvrir de nouveaux genres musicaux tout en partageant mes racines. »

Keita est venu deux fois au Festival international de jazz de Montréal avec son combo world-jazz, Seckou Keita Quartet (SKQ), en 2006 et en 2008. La première collaboration entre Omar Sosa et Seckou Keita, en 2012, a donné l’album Transparent Water.

La kora, c’est du côté griot de ma mère que je l’ai apprise. Mon grand-père m’a montré comment construire mon propre instrument, un instrument que je qualifie de spirituel.

Seckou Keita

Ce dérivé de la calebasse avec une peau par-dessus laisse échapper des notes cristallines en cascade. Ça calme les esprits, il va sans dire.

« Mitch Martin, raconte Sosa, nous a invités à jouer chez lui à Londres avec son groupe Drum FM. Lorsque Seckou est arrivé, il a branché son instrument et s’est mis tout de suite à jouer. Nous nous sommes connectés sur-le-champ ! »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’OMAR SOSA

Le plaisir est au rendez-vous entre les deux légendes.

La plupart du temps le fruit d’une concentration méditative absolue, Suba déploie un assortiment d’atouts, comme la présence du percussionniste vénézuélien Gustavo Ovalles qui virevolte avec l’alchimiste du piano depuis une dizaine d’années.

« Je me suis rendu à l’île Minorque [Baléares] chez Omar avec nos familles respectives et c’est là que l’on a conçu [les sept titres de Suba], raconte Keita. La connexion spirituelle était assez élevée ! On a échangé des idées musicales toute la nuit, jusqu’au lever du soleil. »

Suba, paru en 2021, se traduit en langue mandinka par lever du soleil…

Une musique sans frime ni arnaque

En concevant un amalgame de mélodies rudimentaires et de pugnacité directe aux allures d’improvisation, ces chansons atteignent la félicité totale. Sosa a son explication.

« Ma religion, santeria, provient de l’Afrique de l’Ouest, j’ai la sensation de me connecter avec mes racines ! Je le dis souvent : Cuba est une province de l’Afrique. »

Ces compositions au son du terroir millésimé sont d’une rare beauté. Ce n’est pas du bricolage sur un quatre-pistes de fortune.

« Beaucoup de musiciens ont tendance à trop faire cuire leurs recettes, avoue le Cubain, et c’est en réécoutant leurs enregistrements qu’ils veulent modifier des trucs, c’est pour moi d’une importance capitale de bien capter les inspirations du moment. »

« Omar et moi, on célèbre nos différences dans ces échanges spirituels, ajoute pour sa part l’Africain. On est tous ensemble sur cette planète. Il faut être ouvert musicalement à l’autre. »

Sosa a le mot de la fin : « Si la musique vient à toi, c’est parce qu’une force, un esprit émane du centre de l’univers et tu dois les saisir au vol. Thelonious Monk ne cessait de le répéter : The first take is the right take. »

Le guitariste et chanteur français Romain Malagnoux sera en première partie.

Suba Trio, les 6 et 7 mai, au National

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