Spectacle évènement du festival Montréal en lumière, Riopelle symphonique ressemble à un cahier des charges en quête d’une raison d’être. Une création agréable, mais peu marquante.

On parle, en anglais, d’un elevator pitch. Ou en français, si vous préférez, d’un argumentaire éclair. Dans les deux cas, l’expression désigne le temps maximum que devrait durer le laïus que vous ferez à quelqu’un que vous souhaitez convaincre de la pertinence de votre idée : le temps d’un trajet d’ascenseur. C’est bien connu : ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, mais aussi brièvement.

À moins d’avoir à sa disposition la Place Ville Marie, il serait difficile d’encapsuler les ambitions de Riopelle symphonique en une seule balade en ascenseur. Imaginé par le directeur artistique et producteur Nicolas Lemieux (le cerveau bouillonnant derrière les triomphes de Bébé symphonique et Harmonium symphonique), l’album aujourd’hui devenu concert aspire à célébrer le legs du légendaire peintre québécois en cinq actes musicaux correspondant chacun à une époque charnière de sa vie.

Cinq actes que le compositeur Blair Thomson, un habitué de ces expériences jetant des ponts entre différentes formes d’art (il était derrière La symphonie rapaillée et L’OSM au rythme du hip-hop), a orchestrés et arrangés à partir d’une matière première constituée de sept chansons de Serge Fiori.

Pour un instant ? Dixie ? Comme un sage ? Non. Il s’agit plutôt ici de chansons enregistrées après la dissolution d’Harmonium, des pièces forcément moins connues tirées de son premier album solo (1986), de l’unique album de Fiori-Séguin (1978) et de son album retour de 2014.

Ajoutez à ce répertoire une composition inspirée d’un mantra millénaire (le mantra Gāyatrī), enregistrée de manière plutôt confidentielle en 1994 alors que l’idole d’une génération se tenait encore loin des projecteurs. Vous suivez toujours ?

Les arts visuels avant tout

Que venait-on voir et entendre vendredi soir à la salle Wilfrid-Pelletier ? Ce n’était pas clair du tout. Sur scène, l’Orchestre symphonique de Montréal (dirigé par Adam Johnson) était rejoint par les Petits Chanteurs de Laval et le chœur de Temps Fort, pour un total de près de 140 musiciens. Mais comment traduire, dans ce contexte, le puissant mouvement qui traverse les tableaux de Jean Paul Riopelle, dont cet évènement souligne le centenaire ?

Réponse simple et efficace de la metteuse en scène et scénographe Marcella Grimaux : grâce à trois écrans, placés au-dessus de l’orchestre, sur lesquels sont apparues plus d’une centaine de toiles et sculptures. Habile procédé que de montrer l’œuvre dans son ensemble, à gauche, puis de glisser en gros plan sur ses détails, à droite.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Marcella Grimaux signe la mise en scène de Riopelle symphonique.

Il apparaîtra rapidement très clair que le point focal de ce spectacle serait davantage l’art visuel que la musique, toujours agréable, parfois grandiose, mais rarement époustouflante.

Alors qu’Harmonium symphonique magnifie des mélodies que n’importe quel mélomane québécois peut fredonner sur commande, Riopelle symphonique s’inspire de chansons que seuls les disciples de Fiori connaissent, ce qui amenuise d’emblée le potentiel émotivo-mémoriel de pareille entreprise. Et pourquoi d’ailleurs avoir choisi ce répertoire-là ?

En quoi s’agissait-il de la musique la plus appropriée pour mettre en lumière le travail de Riopelle ? Voilà autant de questions auxquelles nous ne pourrions répondre que par des conjectures.

Comme un match des étoiles

Intercalés entre les différents actes, les extraits audio d’entrevues avec le signataire de Refus global donnent chair au personnage qui, autrement, demeurera évanescent. Plein d’humour (« Quand je peindrai mieux, je ferai moins épais », répond-il alors qu’on le questionne sur l’importante quantité de peinture qu’il déposait sur ses toiles), le Riopelle que l’on entend peine à s’incarner dans ces musiques souvent éthérées, qui ne font en général qu’un honnête travail de trame sonore.

Le cinquième acte, intitulé Aeternitas (années 1980-1990), est sans doute le plus émouvant, avec ses oies blanches qui s’animent à l’écran et qui évoquent les cycles de la vie. Le sanskrit du texte du mantra Gāyatrī jurait néanmoins avec l’univers de Riopelle, un créateur qui n’était pas, à ce qu’on sache, particulièrement versé en sagesses orientales.

C’est donc avec l’impression d’avoir assisté à un match des étoiles de la LNH que nous quittons la Place des Arts. Vendredi soir, la scène de la salle Wilfrid-Pelletier ne comptait que des joueurs de grand calibre, mais l’enjeu est demeuré trop élusif pour que l’émotion s’installe.

L’hommage à Rosa Luxemburg, la fresque monumentale de Riopelle qu’il est possible de voir au Musée national des beaux-arts du Québec, est une œuvre dont chaque coup d’œil renouvelle la vitalité, alors que Riopelle symphonique fige son sujet dans le passé. On a mis un peintre au monde, on devrait peut-être se satisfaire de le regarder.

Riopelle symphonique est présenté le 18 février à la Place des Arts, et les 8 et 9 septembre au Grand Théâtre de Québec

Visitez le site de Riopelle symphonique