Entendu dans le film Lignes de fuite, dans la série La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé et en conclusion du gala Juste pour rire de Rosalie Vaillancourt, Et cetera, le succès absolu de Gabrielle Destroismaisons, a connu en 2022 sa meilleure année depuis sa parution en 2000.

« Gabrielle Destroismaisons, c’était notre pop star québécoise. C’était notre Britney Spears à nous », s’exclame la coréalisatrice de Lignes de fuite Catherine Chabot. Exagération ? Chose certaine : l’interprète d’Et cetera occupe une place différente, pas ironique du tout, dans l’imaginaire des millénariaux, que celle d’autres de ces artistes dont on se souvient essentiellement pour un seul refrain. Autrement dit : personne ne parle de Jacynthe ou d’Infini-T avec la même révérence, doucement euphorique, que de Gabrielle Destroismaisons.

« Je ne sais pas comment ça se fait ! », s’exclame la principale intéressée, au sujet du regain de popularité de son inflammable tube, qui n’a jamais quitté les ondes des radios, mais qui avait rarement été autant célébré qu’au cours des derniers mois. D’autres exemples de cet engouement ? À la reprise dépouillée, presque éplorée, de Safia Nolin lancée en 2019, Claudia Bouvette ajoutait la sienne, plus trip-hop, en avril.

Il y a quelque chose de plus grand que moi là-dedans. Je l’ai toujours dit : je suis une chanteuse chanceuse.

Gabrielle Destroismaisons

Katherine Levac se trouvait elle aussi pas mal chanceuse en juillet dernier, au moment d’entonner lors du gala Juste pour rire de Rosalie Vaillancourt une parodie d’Et cetera en compagnie de son amie et de son idole de jeunesse. Plutôt que de chanter l’indécence de leurs pensées, les deux nouvelles mamans avouaient alors un désir encore plus brûlant, celui de voir leur progéniture enfin s’endormir : « Un regard et je t’ai changé / Va te coucher mon amour ».

PHOTO ERIC MYRE, FOURNIE PAR JUSTE POUR RIRE

Katherine Levac, Gabrielle Destroismaisons et Rosalie Vaillancourt

Parlons d’une boucle bouclée pour l’humoriste, une vraie fan qui, au bout du fil, décrit avec ferveur le look qu’arborait la chanteuse – « la camisole tye die rose, rouge, les jeans délavés à la perfection » – sur la pochette de l’album Etc…, qu’elle a longuement scrutée. C’est que, dans son école secondaire, à Hawkesbury, il était hors de question qu’un numéro de danse ou de chant mette de l’avant un texte en anglais. Le problème ? Trop peu d’artistes francophones s’adressaient réellement aux oreilles des adolescentes.

La personne qui pigeait une chanson de Gabrielle Destroismaisons ou d’Andrée Watters était chanceuse en maudit, parce que sa chanson allait être bonne et tout le monde la trouverait cool.

Katherine Levac

Une vraie bonne chanson

Les salves de timbales latines ponctuant l’intro, les quelques phrases passées au filtre de l’autotune, le rythme dance-pop très Believe de Cher ; les compositeurs d’Et cetera, Alexis Dufresne et Antoine Sicotte, avaient manifestement bien assimilé les tendances pop de l’époque. Mais Gabrielle Destroismaisons n’a jamais été une réplique exacte de Britney ou de Christina. Malgré ses 18 ans, l’admiratrice de Bob Dylan et de Sarah McLachlan savait exprimer ses goûts et ses aversions.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gabrielle Destroismaisons

Je me souviens tellement de m’être assise devant les gens de la compagnie de disques et de leur avoir dit : “Je l’aime, Britney, mais je n’ai pas envie d’être Britney. Chanter avec un micro-casque, faire des chorégraphies, je déteste ça.” J’étais super assumée, j’avais de l’attitude au boutte.

Gabrielle Destroismaisons

« Gabrielle avait un côté tellement vrai que lorsque j’étais jeune, je me disais : “Ça pourrait être mon amie” », se souvient Katherine Levac quant à ce supplément de vérité qui était d’emblée perceptible chez la fille de Saint-Lin–Laurentides.

Qu’Et cetera se fasse entendre à la fois dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé et dans Lignes de fuite – deux scènes de karaoké ! – témoigne bien sûr de l’âge des créateurs de ces œuvres.

« Mais c’est une vraie bonne chanson, Et cetera ! lance Catherine Chabot. On a le droit de la mettre dans une playlist et de l’aimer pour vrai, comme une chanson de Destiny’s Child. »

Rien ne décrit mieux les rapports de complicité et de pouvoir unissant les personnages d’Audrey (Catherine Chabot), Sabina (Mariana Mazza) et Valérie (Léane Labrèche-Dor) que la chorégraphie accompagnant leur interprétation à trois, mais avec Valérie bien en avant.

IMAGE FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Catherine Chabot, Léane Labrèche-Dor et Mariana Mazza dans Lignes de fuite

« Cette chanson-là est très fédératrice pour les trentenaires, parce qu’elle nous ramène à nos premiers partys de sous-sol et à la découverte de plein de choses », observe l’actrice en évoquant les paroles plutôt suggestives, signées France Robert. « C’est une chanson qui parle au cœur. » Et au corps.

Dans un karaoké près de chez vous

Gabrielle Destroismaisons, qui vient à peine de fêter ses 40 ans le 29 décembre, mesure bien le privilège que représente l’espace qu’elle occupe dans la mémoire de toute une génération. « Mais pendant longtemps, je me suis dit que j’étais un échec, confie-t-elle. Quotidiennement, je croisais des gens qui me demandaient : “Pourquoi on ne te voit plus ?” Mes proches me disaient que si on me posait cette question-là, c’est parce qu’on m’aimait, mais ç’a été très difficile de sentir que je n’étais plus rien. Je n’avais plus beaucoup d’estime pour moi-même. »

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Gabrielle Destroismaisons a remporté le Félix de la révélation de l’année en 2001.

Son retour à l’école, afin d’obtenir son diplôme d’études secondaires, l’aidera à mettre sa trajectoire en perspective et à comprendre que « c’est important de ne pas bâtir son estime sur le succès, dit-elle. Ce n’est pas parce que tu as du succès que tu vaux quelque chose ou que tu ne vaux plus rien parce que tu n’en as plus ».

Elle espère aujourd’hui que ses trois albums seront enfin déposés sur les plateformes d’écoute en continu – son ancienne gérante et propriétaire originale des bandes maîtresses de l’album Etc…, Maryolen Paquin, n’a pas répondu à nos sollicitations à ce sujet. Heureusement qu’il existe la trame sonore des Boys III, grâce à laquelle Et cetera se trouve sur Spotify et compagnie.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gabrielle Destroismaisons

Et Gabrielle Destroismaisons chante-t-elle toujours ? Elle n’a jamais vraiment accroché son micro. Elle sera d’ailleurs de la revue musicale Nos icônes en juillet au Théâtre Hector-Charland de L’Assomption. Mais pour entendre Et cetera ? Vous avez plus de chance ailleurs. « Ce que j’aime faire quand je vais au karaoké, c’est de choisir Et cetera, sans trop attirer l’attention sur moi. Je commence à la chanter et là, tranquillement, il y a des yeux qui se retournent. Mon plaisir, c’est de voir la surprise. »