Patrick Norman ne rêvait pas de devenir chanteur. « C’est la guitare, mon premier amour », dit celui dont la tournée d’adieu s’arrête ce vendredi à Coup de cœur francophone.

Vous souhaitez voir le regard de Patrick Norman s’illuminer ? Parlez-lui de guitare. Parlez-lui, plus précisément, de la guitare de son père Fernand, sur laquelle il a plaqué son premier accord, un sol ouvert. « Il a placé mes doigts, il m’a dit “Vas-y, joue”, j’ai fait l’accord et je l’ai eu du premier coup », raconte le fils, devenu grand, en donnant amicalement du « garçon » et du « mon gars » à son interlocuteur.

Ce premier accord-là, ç’a été un moment de lumière, mon gars, assez pour que je m’en souvienne encore à 76 ans. La guitare de mon père, c’était une Kay, très dure. Je jouais pareil, même si ça me faisait mal aux doigts au point d’en saigner.

Patrick Norman

La six cordes à propos de laquelle Patrick Norman chante sur la pièce (La Gibson de mon père) qui ouvre son plus récent album, Si on y allait (2019), n’est donc pas la première sur laquelle il a joué, mais plutôt une autre – une Gibson Dove 1971 – qu’il a offerte à son paternel en 1974 et qu’il a récupérée plus tard.

« La musique, c’est ma raison de vivre », résume-t-il. Ce qu’on constate en quelques minutes de conversation ponctuée du nom des artistes (Hank Williams, Merle Haggard, les Beatles) à qui il emboîtait le pas en 1967, en lâchant les jobines que ses parents lui conseillaient de garder au nom de sa proverbiale sécurité, pour se consacrer entièrement à la scène.

Pas étonnant qu’autant de ses chansons (La guitare de Jérémie, Chanter pour rien, Je fais pleurer mes amis) célèbrent l’irremplaçable béatitude à laquelle la musique permet de goûter. « J’ai crevé de faim au début, mais je n’ai plus jamais eu l’impression de travailler du reste de ma vie. »

La Gretsch de Serge

Si Patrick Norman mesure aussi bien son privilège, c’est qu’il a lui-même d’abord été ce fan incapable de détourner ses yeux des musiciens. Au début des années 1960, au Buffet Versailles, une salle de danse de la rue Saint-Hubert, un adolescent du nom d’Yvon Éthier se rendait régulièrement assister aux spectacles du groupe The Sprights.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Un homme et ses guitares

« Le guitariste, Serge Brabant, avait une belle Gretsch 6120 Chet Atkins, se souvient-il. Je me plantais devant lui et je le regardais jouer. Puis je retournais chez mon oncle Albert et j’essayais de reproduire ce que j’avais entendu. »

Puis, rôles inversés. Au début des années 1990, lors d’un festival auquel il participe, Patrick renoue avec Serge Brabant, qui était venu l’entendre, sans se douter que le populaire chanteur l’avait tant admiré. La chance : Serge Brabant possédait encore sa rutilante Gretsch, avec laquelle l’ancien admirateur des Sprights a eu la joie de jouer sur son album Guitare (1997).

« C’est beau, la vie, hein ? C’était moi qui allais voir Serge toutes les fins de semaine quand j’étais ti-cul et c’est lui qui venait me voir maintenant. »

Déguster son bonheur

Enregistré à Nashville, Si on y allait marquait un nouveau chapitre dans la riche relation que Patrick Norman entretient avec cette ville. Son premier album en anglais, le sous-estimé Textures (1976), avait également été créé dans la capitale du country avec la collaboration de l’arrangeur Bergen White, dont le nom figure dans la pochette de disque de Waylon Jennings, Willie Nelson et Tanya Tucker.

C’est aussi là-bas que le fabuleux et élégant chanteur a rencontré en 1991 son héros Chet Atkins, nul autre que Monsieur Guitare, lors d’un tournage pour Radio-Canada, « deux heures de pur bonheur ».

Quand je suis arrivé, j’ai dit : “Mister Atkins, j’espère que je ne ferai pas un fou de moi.” Il m’a répondu : “T’en fais pas, j’ai vécu la même chose en 1946 avec Django Reinhardt.” Il m’avait mis tout de suite à mon aise.

Patrick Norman

Le souriant septuagénaire en est donc à sa tournée d’adieu, mais n’a vraiment pas poussé sa dernière note, d’abord parce que cette actuelle virée québécoise le mènera loin, jusque dans le calendrier de 2023, mais surtout parce qu’il n’exclut pas de remonter sur scène de temps à autre.

Comprendre : il en a assez de ne pas être plus souvent à la maison. Il effectue d’ailleurs ces jours-ci des rénovations afin de pouvoir pousser son dernier souffle à domicile, contrairement à sa mère, Marguerite, qui a plié bagage à 101 ans en avril 2021, en pleine pandémie.

« Quand je vais partir, j’aimerais être proche de mes guitares », confie celui qui est arrière-grand-père depuis février et dont les yeux redeviennent ceux d’un jouvenceau dès qu’on prononce le nom de son amoureuse, la chanteuse Nathalie Lord.

« Jamais je n’ai été aussi heureux et c’est parce que j’accepte mon bonheur. Avant, je me mettais la barre haut, je ne me pardonnais pas mes erreurs. J’apprends sur le tard à quel point c’est important d’être gentil avec soi-même. »

Au Club Soda, le 11 novembre, à 20 h

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