C’est une des plus grandes chanteuses des dernières décennies qui s’est présentée devant nous à la salle Bourgie, lundi soir. Anne Sofie von Otter n’a évidemment plus, à 67 ans, la voix de ses 30 ans. Mais l’intégrité artistique et l’émotion demeurent, elles, absolument intactes.

La mezzo-soprano, majestueuse avec sa robe cramoisie et sa longue chevelure blanche, a offert, en toute simplicité, un florilège de lieder de Schubert et du Suédois Adolf Fredrik Lindblad (1801-1878) en compagnie du prodigieux pianofortiste sud-africain Kristian Bezuidenhout.

Lindblad est une magnifique découverte. On est certainement loin des hauteurs schubertiennes. Mais ses mélodies écrites en plein milieu du romantisme se comparent avantageusement à celles d’un Loewe ou même d’un Mendelssohn.

La chanteuse a présenté elle-même, en anglais, les cinq mélodies de son lointain compatriote, qui a écrit le texte de trois d’entre elles. Si certaines, comme Aftonen (Soir) ou Vaggvisa (Berceuse) adoptent un ton plus naïf, d’autres, comme Mån tro, jo, jo ! (Croyez-vous ? Bien sûr !) et Bröllopsfärden (Mariage d’hiver), ouvrent une porte vers certains tourments de l’âme.

On savoure cette rare occasion d’entendre chantée la langue suédoise, plus douce à l’oreille que l’allemande, charmant par l’abondance de consonnes géminées. Si l’accompagnement de piano n’est pas toujours très varié, l’inspiration mélodique ne tarit guère dans ces pages dont on espère une diffusion plus large.

La voix n’a évidemment plus la fermeté d’antan dans les aigus, surtout dans la nuance piano. Le vibrato s’est inévitablement élargi. Mais les graves ont encore du corps. Et la voix a toujours une belle rondeur.

Les onze lieder de Schubert, séparés en quatre groupes, ont assurément été le clou de la soirée. On en entend de très connus comme Der Tod und das Mädchen (La jeune fille et la mort) et trois des quatre Gesänge aus Wilhelm Meister de Goethe, mais également des mélodies de jeunesse plus confidentielles.

La mezzo-soprano les interprète avec une éloquente sobriété, plus contenue dans les lieder plus intérieurs, plus extrovertie dans les autres, éloignant légèrement les bras de son corps pour dépeindre l’action. Le sens du texte est constamment souverain avec, toujours, cette lumière dans les yeux qui reste sa marque de commerce.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La mezzo-soprano Anne Sofie von Otter en concert lundi soir

Dans le sombre Nachtstück (Nocturne), lorsque von Otter fait siens les mots du vieil homme du poème de Mayrhofer (« Bientôt ce sera fini / Bientôt je dormirai du long sommeil / Qui me libérera de toute peine »), on ne peut en outre s’empêcher de penser à la mort tragique de son propre époux il y a quatre ans…

Le dernier lied, Die Taubenpost (Le pigeon voyageur), également le dernier écrit par Schubert, dissipe toutefois les ombres laissées par le précédent et nous laisse sur une note apaisée : « Jour et nuit, réveillé ou endormi / C’est pareil pour lui / Tant qu’il peut voyager, voyager / Il est satisfait ! »

Il faut également louer Kristian Bezuidenhout, un des plus brillants éléments de la jeune génération de pianofortistes, qui accompagne la chanteuse avec tact et engagement. L’introduction de Der Tod und das Mädchen avait quelque chose d’admirablement crépusculaire.

Trois moments en solo lui étaient également réservés durant la soirée, à notre plus grand bonheur. Le jeune quarantenaire nous a absolument conquis avec son Rondo en la mineur, K.511, de Mozart et les mouvements lents des sonates en la mineur, D.537, et en la majeur, D.664, de Schubert.

Quel sens du chant ! Et quelle palette de couleurs ! Le nouveau pianoforte de la salle Bourgie a trouvé en lui un véritable artiste. Car le musicien prend le temps de faire sonner l’instrument, de laisser se dérouler chacun des thèmes et de permettre à la musique de respirer à pleins poumons. Un grand moment de clavier !

Les deux artistes ont offert en rappel le fameux lied Lachen und Weinen (Rire et pleurer) de Schubert et Try to Remember, une chanson tirée de la comédie musicale The Fantasticks que la mezzo-soprano connaît depuis l’adolescence.