Pourquoi Claude Mckenzie a-t-il mis tant d’années pour enregistrer un nouvel album ? « Pourquoi est-ce que ça a pris tant d’années ? », répète-t-il lentement, comme si la question avait une profonde teneur métaphysique. « Disons que je ne suis pas le gars qui va courir après les producteurs. »

Dehors devant la Nouvelle Maison de Radio-Canada, Claude Mckenzie, son capuchon remonté sur la tête, philosophe. « La popularité, je me sauve de ça. Loin de moi l’idée de chercher la gloire des hommes, qui pourrit après un mois ou deux », pense celui qui était de passage à Montréal cette semaine afin d’assister mercredi au Premier Gala de l’ADISQ – il était cité dans la catégorie de l’Album de l’année – langues autochtones – et pour présenter une performance lors de la cérémonie de dimanche.

À l’aune de cet objectif — se sauver de la popularité –, la carrière de Claude Mckenzie, depuis la fin de Kashtin au milieu des années 1990, est un incontestable succès. Muk(u) uin, son quatrième album solo, paru à la fin février 2022, n’aura généré que peu d’échos médiatiques. À 55 ans, l’auteur-compositeur innu mène une vie de nomade et est parfois impossible à joindre, parce qu’il n’a pas toujours de téléphone cellulaire.

Mais à quoi a-t-il occupé les quelque 13 années qui séparent Muk(u) uin d’Inniu, son précédent album paru en 2009 ? « J’ai flâné, man ! Ostie que j’ai flâné. Mais ça me manque, la musique », confie celui qui n’a pourtant jamais cessé de jouer et sur qui vous auriez pu tomber ces dernières années sur la scène d’une taverne de Thunder Bay ou de la Baie-James, « avec des musiciens pas mal moins bons que ceux sur [son] disque ».

Ça me manque, la musique, parce que c’est la seule chose que je sais faire, probablement la seule chose que je vais faire pour le reste ma vie, même si j’ai mes péchés et mes démons, comme ils disent.

Claude Mckenzie

Outre de son amour pour la flânerie, la carrière de Claude Mckenzie aura beaucoup souffert des crimes qui l’ont mené devant les tribunaux : en mai 1994, il était condamné pour conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, en 2006, condamné à 30 jours de prison pour menaces et voies de fait, puis en 2013, à 45 jours de prison pour voie de fait simple sur sa conjointe de l’époque. Des évènements ayant tous en commun l’alcool, sa pire muse. « C’est pas que des regrets que j’ai. Je dirais plus que c’est des remords », laisse-t-il tomber laconiquement, le regard vers le sol.

« Je sais qu’il est encore très affecté par ça aujourd’hui », explique le réalisateur Simon Walls, un allochtone de 37 ans, qui a fait sa rencontre sur la Côte-Nord, alors que le studio mobile de Musique nomade s’y était installé pour quelques semaines. « Lorsqu’on arrive dans les communautés, on adopte une philosophie de non-jugement avec les gens avec qui on travaille, parce qu’on est face à une réalité complètement différente. »

Un talent brut derrière le micro

Réparties sur plus d’un an, à Montréal, les séances d’enregistrement de Muk(u) uin auront vivement sollicité la patience de Simon Walls, Claude Mckenzie étant un être libre, qui peut partir se balader 15 minutes et ne réapparaître que le lendemain.

Mais Claude, c’est un talent brut derrière le micro. Son influence première en tant que mélodiste, c’est John Lennon, et ça s’entend tout de suite. Il peut prendre une guit et te pondre quelque chose de magique n’importe quand.

Simon Walls

Il importait à Walls d’inviter de jeunes artistes de Maliotenam, là où Claude Mckenzie a grandi, à chanter sur Tipatshimun, reprise d’un succès de Kashtin. « En studio, Kanen, Matiu et Dan-Georges Mckenzie capotaient, se souvient-il. Ils se rappelaient tous avoir dansé là-dessus dans des partys de sous-sol. On sait que Kashtin a été populaire, mais l’impact qu’ils ont eu dans les communautés est difficile à décrire, tellement c’est gros. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Mckenzie en 2004

Claude Mckenzie semble lui-même mal à l’aise lorsqu’on évoque le succès de son duo, encore inégalé pour des artistes autochtones au Québec, qui a donné à ses héritiers la permission de rêver. En 1990, Kashtin remportait pas moins de trois Félix, dont celui de l’Album le plus vendu.

Des fois, de jeunes musiciens me disent : “Je marche dans tes pas, je suis ton chemin.” Et je leur réponds toujours : “Je ne veux pas que tu me suives. Viens, marche à côté de moi.”

Claude Mckenzie

Le vétéran entendait consacrer son séjour en ville à rendre visite à sa fille de 17 ans — il a aussi un fils de 31 ans et une fille de 8 ans. Il entrera peut-être dans une église s’il en croise une, la foi étant au cœur de sa vie. Sa caboche est déjà pleine de nouvelles mélodies, qu’il ne consigne nulle part ailleurs que dans sa mémoire et qu’il n’a pourtant pas du tout peur d’oublier.

À quel avenir aspire Claude Mckenzie ? « Je rêve de continuer à vivre encore très longtemps. »

L’ADISQ « croit en la réhabilitation »

Par courriel, Ève Paré, directrice générale de l’ADISQ, explique avoir choisi de présenter dimanche une performance de Claude Mckenzie, malgré son casier judiciaire, après avoir demandé conseil à un comité consultatif. L’ADISQ a pris en considération que les faits remontent à une dizaine d’années, que l’artiste a purgé sa peine, qu’elle croit en la réhabilitation et que cette prestation « s’inscrit dans le cadre du lancement de la décennie des langues autochtones et reflète [la] volonté, depuis 2019, d’offrir une tribune pour que leurs musiques rayonnent ».