C’est le cas pour bien des gens qui ont survécu à la maladie : Lulu Hughes veut bien en parler, mais aime aussi parfois changer de sujet. « Je suis en forme, top shape », lance-t-elle, avec son irrésistible sourire, quant à son état de santé actuel.

Son laconisme est moins, on l’aura compris, une façon de fermer la porte à toute conversation à ce propos – « Je serai toujours là pour témoigner et pour écouter les autres » – qu’une manière d’en ouvrir une autre avec la parution de Built Near the Water.

Pourquoi a-t-elle patienté aussi longtemps avant d’enregistrer ce quatrième album, le premier depuis les reprises de Lulu Hughes & The Montreal All City Big Band en 2010 ? Les trois cancers qui ont bouleversé son quotidien depuis 2016 – sa dernière récidive date de 2020 – constituent à eux seuls une justification plus que compréhensible. Des épreuves auxquelles s’ajoutait en 2017 la mort de sa mère, Anna.

Les dernières années auront donc été particulièrement chargées, mais ce n’est pas d’hier que Lulu Hughes est une intime de l’adversité.

« I was feeling I didn’t want this no more/to fade away and disappear », confie-t-elle sur la très stonesienne pièce-titre de Built Near the Water, qui la ramène en 2010, alors qu’elle s’installait en Allemagne au nom de l’amour, dépitée par l’industrie de la musique.

« Quand je suis partie en Allemagne, je n’en voulais plus, de cette business-là, de comment ça se passait ici. J’avais une écœurantite aiguë », se souvient celle qui compte parmi les voix les plus titanesques du Québec, qu’aucun album n’était encore aussi bien parvenu à capter dans toute sa férocité.

Rock With Me (2002), tiré de son premier album, a beau avoir abondamment tourné sur les ondes FM, Lulu Hughes correspond encore tragiquement à l’archétype, omniprésent dans l’histoire du rock, de la femme qui époustoufle tout le monde sur scène, mais dont les disques ne génèrent jamais le même enthousiasme.

Elle est rentrée au pays en 2014, sans l’homme, mais avec la fille qu’ils ont conçue. « J’ai vite réalisé là-bas que sans la musique, j’allais m’éteindre. »

« Esprit artistique primal »

La belle ironie : c’est en abandonnant son envie de se conformer aux attentes que Lulu Hughes signe aujourd’hui le proverbial album qui lui ressemble le plus, une formule certes usée, bien qu’ici impossible à contourner. Elle est de son propre aveu une femme beaucoup plus sereine depuis la maladie.

« Et moins contrôlante », ajoute-t-elle en partageant un grand rire avec le coréalisateur de Built Near the Water, le héros de la six-cordes Jean-Sébastien Chouinard, un des généraux de cette armée de paix (Army of Peace) que forment ceux qui lui permettent de s’épanouir (dont l’autre coréalisateur, Gautier Marinof).

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Lulu Hughes

Avant, j’étais dans le constant vouloir de répondre aux demandes de l’industrie, une pression encore plus lourde pour les femmes, qui doivent toujours être belles, ne jamais vieillir. J’ai eu beaucoup de succès d’estime, mais je n’ai jamais tellement vendu, parce que j’ai toujours été trop ou pas assez : trop anglo, trop intense, pas assez franco, pas assez pop.

Lulu Hughes

« Mais la maladie, poursuit-elle, m’a vraiment permis de dire “Fuck this shit”. J’ai fait beaucoup de compromis, dans ma vie personnelle, mais le seul endroit où je ne lâcherai pas le morceau, c’est dans ma musique, parce que je trouve ça trop important de garder intact mon esprit artistique primal. »

Des monuments

S’il s’agit de l’album qui lui ressemble le plus, c’est aussi pour la simple raison que l’autrice-compositrice de 55 ans utilise enfin ses textes afin de se soulager le cœur et l’esprit, alors que les paroles de ses deux premiers disques se résumaient dans bien des cas à d’amusants exercices de style.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Lulu Hughes et Jean-Sébastien Chouinard

« Je suis tellement entourée de bons musiciens que j’ai toujours été gênée de montrer mes affaires, explique-t-elle. Je n’ai jamais douté que j’avais ma place sur scène, mais en studio, c’est différent. C’est Jean-Seb qui m’a presque forcée à lui jouer mes idées. Je me sentais comme si j’allais au bûcher, mais tout de suite, il m’a donné confiance. »

Deux fantômes, indissociables, planent sur Built Near the Water : celui de la maman de Lulu, à qui deux chansons sont dédiées, et celui de Led Zeppelin, encore à ce jour son groupe préféré.

« Quand ma mère a amené Led Zep II à la maison, c’était en 1971, je m’en souviens, parce que mon père venait de mourir. Elle est entrée, elle a tassé tous les meubles, elle a mis Whole Lotta Love et elle a dit : “Venez vous-en, les enfants, on danse.” On a écouté l’album en boucle pendant une couple d’heures à danser comme des fous. » Petite pause.

« Led Zeppelin, ce sont des monuments, mais ma mère aussi, c’était un monument. »

L’album est offert exclusivement sur le site web de l’artiste.

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