« On n’a jamais autant nommé les choses », observe Stéphanie Boulay au sujet d’Échapper à la nuit, quatrième album du duo qu’elle forme avec sa sœur, Mélanie. Conversation sans fard autour d’un disque faisant la preuve qu’il est possible d’être à la fois endimanché et à découvert.

Guitares acoustiques, voix pures et joliment ratoureuses, percussions de fortune : les sœurs Boulay nous auront d’emblée charmés grâce à la beauté ébouriffée de leur musique dépouillée d’artifice. Ces filles avaient l’air vraies, leurs chansons itou, et leur manière pas prétentieuse de nous les présenter ne faisait qu’ajouter à cette impression d’incontestable authenticité.

« Perso, j’avais la conviction que pour être authentique, il fallait que les choses soient sur le disque telles qu’elles le sont quand on joue la toune sur le bord du feu de camp », se rappelle Mélanie. « Sinon, c’est comme si c’était du maquillage. »

« Une longue partie de notre carrière, on a essayé de nous encapsuler dans cette authenticité-là. Mais l’ironie, c’est qu’on se maquille dans la vie. Et que le naturel peut aussi être une forme de maquillage », poursuit Stéphanie, en ne parlant pas exactement de cosmétiques, mais bien d’Échapper à la nuit, le quatrième album des sœurs Boulay, de loin leur plus grimé, mais aussi, paradoxalement, celui sur lequel elles se cachent le moins derrière le masque de l’autobiographie judicieusement floutée.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mélanie et Stéphanie Boulay

« On passe toute la vie à dire de ne pas mentir / Mais au fond rien ne fait plus peur que la vérité », observent dans Je vais te faire danser celles qui savent indéniablement ce dont elles parlent, maintenant qu’elles ont créé ces chansons dans lesquelles elles disent de manière explicite ce qui leste leurs cœurs. Une décision que l’on ne prend pas sans angoisse.

Belle-parentalité (Pas sa mère), complicité muette face aux abus (T’as gardé le silence), commentaires délétères sur les réseaux sociaux (Surtout, surtout)… Échapper à la nuit aborde sans circonlocution des sujets précis. « On n’était pas allées aussi loin dans le concret des défis qu’on vit au quotidien, résume Stéphanie. Il n’y a plus aucune manière de se défiler. »

Impossible effectivement de prétendre que deux chansons en particulier ne témoignent pas du foyer familial éprouvant au sein duquel elles ont grandi : Comme si, bouleversante, bien que vaporeuse, et Tu cherches tes souliers, déchirante à en sangloter, un rare retour à l’épuration folk.

« Depuis nos débuts, on a épluché plein de couches de tabous, et les conflits familiaux, c’est ce qu’il y a de plus difficile. On s’est tellement fait dire en entrevue : ‟Vous, les sœurs Boulay, c’est sûr qu’à Noël, c’est le party !” Comment répondre que c’est quelque chose de complètement construit ? », se demande Mélanie Boulay, sans trop entrer dans les détails, leurs textes, plutôt limpides, parlant amplement d’eux-mêmes. « Je comprends pourquoi on s’imagine ça de nous, mais ce n’est pas vrai et c’est dur à porter. »

Pas étonnant que l’« héroïne ultime » de Stéphanie Boulay soit Annie Ernaux, qui a érigé l’excavation de souvenirs honteux en démarche littéraire. « Pourquoi on prendrait la parole si ce n’est pas pour dire ces vérités inavouables ? On ne peut pas décider de s’ouvrir, mais de ne pas aller là où ça fait mal. »

La peur, encore

Si l’idée que ces chansons se retrouveront bientôt dans les oreilles de milliers d’étrangers s’accompagne d’un puissant vertige, c’est plutôt la réinvention musicale des sœurs Boulay qui a donné la frousse à Connor Seidel.

« Quand on a commencé, Mélanie et Stéphanie me disaient sans cesse qu’elles souhaitaient essayer des choses différentes. Et j’avais un peu peur de briser ce qu’il y avait de si naturel chez elles », confie en anglais le réalisateur très sollicité (Charlotte Cardin, Matt Holubowski, Alicia Moffet), qui a rencontré les sœurs grâce à leur ami commun Elliot Maginot.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les sœurs Boulay et le réalisateur Connor Seidel

Et j’ai tranquillement compris que même si on changeait d’approche, ça sonnerait toujours comme les Boulay, parce qu’elles ont leur identité à elles, peu importe, grâce à leurs voix et à leur écriture.

Connor Seidel

Changer d’approche ? C’est que les sœurs Boulay s’approprient plus que jamais sur Échapper à la nuit les sonorités synthétiques de la pop actuelle, surtout sur sa première moitié, plus sombre, alors que la deuxième lui oppose un salutaire appel d’air.

« L’album que j’écoute le plus présentement, c’est celui d’Harry Styles », lance Stéphanie, aussi fan indéfectible de Taylor Swift. « Ça me passionne, décortiquer la science derrière un hit : pourquoi la première fois que tu l’écoutes, le refrain t’accroche, te fait vivre une émotion. On voulait combiner notre recherche de profondeur à une quête de la phrase catchy, du hook. »

Il n’y a pas de hook plus entêtant sur ce disque que celui de Laisse aller la vie, dans laquelle Stéphanie et Mélanie se réconcilient avec une forme de foi en l’existence, presque d’insouciance. Il s’en faudrait de peu pour qu’elles s’enfilent quelques shooters de fort, mais cette fois-ci, elles se les paieront elles-mêmes.

« Au début de la création, on était tellement amères de ce qui venait d’arriver avec notre maison de disques [Grosse Boîte], de la énième vague de dénonciations, se souvient Mélanie. Mais on a réalisé au fur et à mesure qu’il y a derrière l’envie de faire un nouvel album celle de voir la vie avec espoir. Laisse aller la vie, c’est comme un message à nous-mêmes, un mantra. »

Échapper à la nuit

Pop

Échapper à la nuit

Les sœurs Boulay

Simone Records
Sortie ce vendredi