Le projet Flore Laurentienne du compositeur, multi-instrumentiste et arrangeur Mathieu David Gagnon est « une recherche et une expérimentation sur un même thème », celui du fleuve, de son caractère et de son immensité. Avec son Volume II, l’artiste se met à nouveau au défi, imposant à sa créativité des règles de jeu.

Quand vient le temps d’écrire de la musique, Mathieu David Gagnon carbure à la contrainte. « C’est un outil très efficace », affirme-t-il au bout du fil. Lorsqu’il décrit son processus, il est très souvent question d’une règle qu’il a établie pour se donner un cadre créatif. Ainsi, deux morceaux de son nouveau disque, intitulés Navigation III et Navigation IV, n’ont que deux accords. « Je pars de ce principe-là, et je travaille avec ça, explique le musicien. J’essaie de trouver le même contenu musical et de lui faire changer de face et de caractère en lui mettant des instrumentations différentes. »

Sur plusieurs pièces de cet album, comme sur le premier, le mouvement des sons évoque celui des vagues. Sur Fleuve V, les ondes des synthétiseurs rappellent la marée. L’ambiance pesante semble faire écho au caractère tempétueux que peut avoir le Saint-Laurent.

Peu importe la façon dont on les interprète, certains morceaux décrivent manifestement le fleuve.

Il faut dire que [le fleuve] fait un peu partie de moi. Je suis né en Gaspésie, devant le fleuve. Présentement, je suis devant le fleuve, j’habite tout près. Je le vois comme une présence. Une immensité qui a du caractère, qui a ses bonnes journées, ses moins bonnes journées. C’est comme une personne à côté de moi que je regarde évoluer.

Mathieu David Gagnon, compositeur, multi-instrumentiste et arrangeur

Dans le présent

L’album Volume II est « essentiellement dans le même esprit que le Volume I » qui, déjà, abordait la nature québécoise et le Saint-Laurent. « C’est dans la continuité, mais ça reste une espèce de polaroïd d’une époque pour moi. »

Une époque qui commence à dater un peu, puisque le disque est enregistré depuis l’été 2021. « Je ne peux pas dire que c’est une musique qui m’habite autant qu’elle m’habitait quand je l’ai écrite, confie Mathieu. Mais quand je la joue en live, elle devient quelque chose de mon présent. C’est là que je trouve mon compte : une idée musicale est une idée musicale, mais la façon de la rendre peut être multiple. Ce qui a été joué dans le studio lors de l’enregistrement est une seule version de cette œuvre-là. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Flore Laurentienne en studio, en septembre 2020

S’il dit être bien plus compositeur qu’artiste de scène, c’est de nouveau cet aspect du défi qui le stimule dans l’acte du concert. Ses pièces existent chaque fois différemment en étant présentées lors de spectacles où l’artiste se permet d’expérimenter. « Je pense que c’est une des choses que je préfère de mon métier, c’est un peu un défi chaque fois. Je suis de ces arrangeurs qui croient fermement que tout est arrangeable. Il faut juste trouver comment. C’est là qu’est le jeu. »

Le chemin de l’expérimentation

Le projet Flore Laurentienne évolue dans un cadre bien précis. Il se meut au rythme du fleuve. Et parce qu’il se concentre sur un thème unique, Mathieu David Gagnon sait déjà qu’il ne poussera pas le sujet trop loin. « C’est un thème qui m’habite énormément, mais je sais qu’il ne m’habitera pas aussi intensément pour toujours, dit-il. J’ai une idée très claire de la fin. Un jour, il va falloir que je boucle cette boucle-là. »

Pour l’instant, rien n’indique que la boucle s’apprête à être bouclée. Mathieu a été « le premier surpris » de voir son projet autant décoller après le premier disque. Après de longues années de formation à la faculté de musique de l’Université de Montréal, au Conservatoire d’Aubervilliers de Paris et au Conservatoire de Bordeaux, il a travaillé sur les projets d’autres musiciens. Il se voyait être arrangeur, mais s’est finalement lancé en sentant le vent dans les voiles de la musique instrumentale au Québec. Depuis, « ça avance lentement, mais ça a toujours gardé une erre d’aller », dit-il.

Le musicien écrit surtout l’hiver et compte donc s’y remettre bientôt, alors que les jours raccourcissent et se couvrent. Mais lorsque Flore Laurentienne aura accompli ce qu’il a à accomplir, que Mathieu David Gagnon reprendra son nom, une chose ne changera jamais : « Mon chemin dans la musique va toujours être un chemin d’expérimentation », dit l’artiste, qui a récemment composé la musique pour l’émission balado de Radio-Canada Dépeindre Riopelle, soulignant les 100 ans de l’illustre peintre.

« Flore Laurentienne, c’est assez smooth dans l’expérimentation, observe le musicien. Peut-être qu’un autre projet sera encore plus aventureux. En tout cas, j’ai besoin de me mettre au défi pour avoir du plaisir à créer. »

Trois pièces dans les mots de Mathieu David Gagnon

Fleuve V et Fleuve V (léger retour)

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« Ce sont deux pièces dans le même ton que les premières [Fleuve I et Fleuve III, sur le premier disque], c’est-à-dire en ré mineur. Ce sont des pièces qui comportent très peu d’accords et qui évoquent une espèce d’immensité sur laquelle on n’a pas vraiment le contrôle. La pièce s’appelle Fleuve V (léger retour) en référence à Jimi Hendrix, à cause de la chanson Voodoo Child. La version la plus connue de ce morceau est Voodoo Child (Slight Return), donc en français, ça donne “léger retour” ! »

Canon

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« Sur chaque album, j’essaie d’intégrer un défi contrapuntique [du contrepoint, forme d’écriture qui superpose de manière organisée les lignes mélodiques]. Sur le premier disque, c’était la fugue. Sur le deuxième, c’est le canon, une forme de contrepoint très visuelle. C’est très difficile à écrire. On cherche une phrase musicale qui se répercute sur plusieurs autres, tout en étant sûr que ce que ça engendre va être cohérent avec les autres couches. C’est une expérience, un défi, dans ses joies et ses peines ! »

Promenade

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« Cette pièce était un jeu pour pousser l’orchestre à cordes au maximum de ce qu’il pouvait jouer. J’ai écrit beaucoup plus que pour les autres pièces. Ça fait des années que je travaille cette écriture-là et je pense qu’on n’en vient jamais à bout. Brahms, Beethoven ou Mozart n’ont jamais cessé de se réinventer dans l’écriture des cordes. Elles font partie de mon quotidien. Et quand elles sont là, ce n’est jamais facultatif, elles jouent un rôle bien précis. »