Avec Mercure en mai, son dixième album studio, Daniel Bélanger revient à sa source musicale tout en continuant à regarder vers l’avant. Discussion éclatée avec un créateur plus libre que jamais.

Il y a une espèce d’appel d’air postpandémique dans ce nouvel album de Daniel Bélanger qui sortira vendredi. Une respiration qu’on sent dès la première chanson, Au vent des idées, dont la finale instrumentale qui s’étire sur plus d’une minute annonce bien ce qui s’en vient dans les neuf suivantes.

« Mon idée n’était pas de faire un album sur la pandémie, explique le chanteur. Mais je me rends compte que mes vêtements sentent la pandémie, comme un coat de jean le lendemain d’un feu de camp. »

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Mercure en mai est une bulle confortable, avec des chansons aux structures aériennes, des ponts musicaux qui s’étirent, la voix du chanteur multipliée à l’infini dans les chœurs, deux pièces instrumentales… Si Daniel Bélanger a passé une « pandémie de gars chanceux » — « Je n’ai perdu personne de proche, je n’ai mis personne à pied, j’ai continué à travailler dans mon studio » —, il constate qu’il s’est probablement évadé dans la musique.

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« Dans une chanson comme Soleil levant, on marche, on prend l’air… Les longs bouts instrumentaux, c’est pour se rappeler que cet espace existe. Et qu’on peut être dedans. »

« La vie est belle, mais parfois rude », chante-t-il d’ailleurs dans Dormir dans l’auto. Une phrase qui semble bien résumer l’ensemble.

C’est vrai que l’album, il veut. Il veut de la lumière. Mais c’est rude quand même.

Daniel Bélanger

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On rencontre Daniel Bélanger dans les bureaux de sa nouvelle maison de disques, Secret City Records (Patrick Watson, Klô Pelgag). Il a quitté la boîte qui l’a mis au monde, Audiogram, dont son frère Michel était le président et confondateur, après 30 ans de fidélité.

« Juste que ça fasse 30 ans, c’était une bonne raison pour partir. Je pense que j’ai battu un record mondial ! », lance l’auteur-compositeur-interprète, qui affirme que son départ n’a rien à voir avec la vente d’Audiogram à Québecor en 2021. « Je suis content qu’Audiogram reste au Québec, que ce soit Québecor et non Sony Japon, par exemple. Mais il était temps de brasser les cartes un peu. »

Daniel Bélanger retrouve chez Secret City la « fraîcheur » des débuts d’Audiogram. C’est ainsi qu’à 60 ans, il a ouvert un compte TikTok, sur lequel il a dévoilé au compte-gouttes le premier extrait de l’album, J’entends tout ce qui joue dans ta tête. La stratégie a connu un beau succès et semble l’amuser. « Un gars de la boîte me l’a proposé. J’ai dit : “OK, je te fournis le contenu, et tu t’occupes du montage et de la diffusion.” Je fais ça à ma mesure, comme je suis. »

Consultez le compte Tiktok de Daniel Bélanger

Sculpture

À quelques jours de la sortie de l’album, Daniel Bélanger est joyeux et détendu. « De la pression, je n’en sens plus depuis longtemps. Je présente mes choses, et qui m’aime me suive. »

Quatre ans séparent Paloma, album de chansons originales lancé en 2016, de l’instrumental Travelling (2020). Depuis, il a aussi composé la musique du film Confessions de Luc Picard, en plus de publier un recueil de poésie, Poids lourd, lancé à la fin d’août. Une expérience qui l’a enchanté. « Ça m’a fait autant de bien que mon album instrumental. La poésie, c’est la liberté totale, à l’intérieur de certaines contraintes. Tu n’as pas à t’occuper de fitter dans la toune… mais tu dois fitter dans autre chose ! »

Retravailler ses textes avec une éditrice, passer des heures à discuter du bien-fondé d’un mot, tout ça l’a hautement stimulé. « C’est une des plus belles affaires qui me soit arrivée ces dernières années. » Et c’est la preuve qu’il a encore des choses à apprendre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Daniel Bélanger

Il faut rester curieux. La jeunesse, c’est important, mais essaye pas, tu vas être vieux. Alors que la curiosité, tu peux la garder, l’entretenir, la chouchouter, la protéger. C’est ce qui te rapproche le plus de la jeunesse.

Daniel Bélanger

En chanson, Daniel Bélanger se fait « plus confiance » et a moins besoin d’un regard extérieur : il travaille seul dans son studio, sans réalisateur, joue de tous les instruments, et s’adjoint des musiciens seulement à la dernière étape — dans ce cas-ci, Guillaume Doiron à la basse et Robbie Kuster à la batterie.

« Quand tu arrives à ton dixième, chaque nouvel album fait partie d’un tout et vient se coller au reste pour former une sculpture. Je ne dis pas que je connais LA chanson, mais je connais la mienne. J’ai plein de références, je sais ce que j’ai fait, ce que je veux faire, ce que je n’aime pas… »

Où se situe Mercure en mai dans la sculpture ? « Pour l’instant c’est une grosse motte ! » Il rigole. « C’est là que je suis rendu dans ma tête et mon cœur. »

Simplicité

Alors qu’on a célébré l’an dernier les 20 ans de son album phare Rêver mieux, plusieurs des nouvelles chansons de Mercure en mai nous y renvoient directement. Est-ce l’impact d’en avoir beaucoup parlé ? « Je veux juste être libre », répond-il. Ne pas créer en réaction à Rêver mieux comme il l’a longtemps fait, ne pas avoir la contrainte de se « battre contre ou pour ». « Je veux juste faire l’album que je veux faire en ce moment. Être qui je suis. »

Il avait cependant envie de ramener les synthés et de mélanger l’acoustique et les claviers, comme il y a 20 ans. « Il y a aussi des souvenirs des synthés de ma jeunesse, de OMD ou de Tanita Tikaram. J’ai des basses comme ça, qui vont juste poupoum, poupoum… Juste une pulsion. »

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On est loin du rythme plus lourd de Paloma. « Oui, il était plus crinqué. » Le battement ressemble ici davantage au pas régulier de la marche. Il sourit. « Et non au vélo stationnaire ! »

Daniel Bélanger revendique la même liberté dans l’écriture des paroles, qu’il improvise en audio plutôt que sur papier. « Au lieu de raturer une phrase, je l’efface et j’en dis une autre. C’est le même travail, mais plus intuitif et sans entrave. » Résultat : il y a dans ses textes un vocabulaire très ample, avec des titres qui comportent des mots comme vent, soleil, joie, étoiles, fleurs…

J’essaie de simplifier… sans être simplet. Il y a plein de préjugés contre la simplicité, comme si ce n’était pas travaillé.

Daniel Bélanger

Se simplifier, se décomplexifier, être plus direct : c’est ce qu’il recherche. « Les insomniaques sera mon album le plus compliqué. Je voulais qu’on comprenne que j’aimais ça, la poésie, que j’étais capable d’en écrire. Je cherchais l’approbation. Aujourd’hui, je cherche juste à communiquer. »

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Le chanteur devrait repartir sur la route au printemps. Il a retrouvé le goût des spectacles pendant l’été, alors qu’il a partagé la scène avec Half Moon Run au Festival d’été de Québec, et lors d’un concert mémorable au Festival La Noce au Saguenay. « Il y a même eu du body surfing. C’était quelque chose ! »

Daniel Bélanger a beau être un des rares artistes québécois à encore transcender les générations, l’accueil qui lui est réservé depuis quelques années le surprend. « Au MTelus, pour Paloma, les girls étaient sur les épaules de leurs chums ! Je me disais, mon Dieu, je ne vais pas vivre jusqu’à 95 ans, qu’est-ce qu’ils vont me faire ! »

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