Daniel Lavoie a été intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens la semaine dernière aux côtés de Bryan Adams, David Foster et Alanis Morissette. Discussion avec cet orfèvre qui a 50 ans de métier.

« Sa langue, sa musique sont éminemment nord-américaines, et c’est ce qu’il apporte, mieux que personne, à la chanson populaire francophone mondiale. » C’est en ces mots que Jim Corcoran a décrit l’œuvre de Daniel Lavoie lors de la cérémonie d’intronisation qui avait lieu à Toronto. Une présentation qui a plu au principal intéressé.

« Je savais que Jim était la bonne personne. Il a l’intelligence et l’humour qui font que quand on passe après lui, on se sent toujours bien », nous a raconté en souriant l’auteur-compositeur-interprète franco-manitobain lors d’un court passage à Montréal.

Mais lui, qu’a-t-il dit au public qui assistait à la cérémonie ? « Que je me sentais privilégié et chanceux d’avoir été choisi par le public… » Il s’arrête un instant. « Vous voulez vraiment savoir ce que j’ai dit ? »

J’ai dit que pour accéder à cet honneur, il faut certainement quelques chansons que tout le monde connaît. Et que j’ai constaté que tous ceux qui pratiquent ce métier sérieusement, avec amour et passion, on sait tous écrire une bonne chanson. Mais que même les plus grands ne savent pas écrire une grande chanson. Les grandes chansons sont décidées par le public.

Daniel Lavoie

De Ils s’aiment à Qui sait, Daniel Lavoie a écrit certaines des plus belles chansons de la francophonie. Il reste pourtant « humble et lucide », convaincu qu’il y a un élément de chance pour qu’un artiste soit « choisi » par le public. « Cette relation est très éphémère, », ajoute-t-il. Ce moment de grâce où les chansons « connectent avec le monde », quand ça lock, peut durer six mois, un an, trois ans. « Après ils prennent des jeunes plus fous pour faire danser les bougalous. Et nous on retourne écrire de bonnes chansons. »

Dans son cas, cette période s’est étirée sur presque dix ans. Elle a commencé avec Tension Attention, son sixième album sorti en 1983, sur lequel figurait justement la chanson Ils s’aiment, et dont les claviers très « english sound » lui ont fait connaître un succès fulgurant, ici et de l’autre côté de l’Atlantique.

« Après, j’ai eu encore trois ou quatre albums qui ont touché tout le monde et ça, c’est un grand privilège. Les gens disent, mais tu as travaillé… Ben non, tout le monde travaille ! Il faut tomber dans la cible du cœur des gens, et ça, c’est de la chance. »

Rimbaud

Daniel Lavoie a lancé en mars une compilation de ses grands succès intitulée J’ai quitté mon île, et soulignera les 40 ans de Tension Attention dans une tournée qui commencera en avril 2023.

Le chanteur, qui faisait partie de la distribution originale de Notre-Dame de Paris en 1998, a aussi repris cet été son rôle de Frollo dans une série de spectacles présentés ici et à New York. À 73 ans, il aime encore la scène… mais doit faire un effort pour y remonter.

Je suis obligé de me botter le cul parce que je n’ai plus l’énergie que j’avais. Mais j’aime ça, ça me garde vivant, en contact. Et ça me permet de faire de la musique avec de bons musiciens.

Daniel Lavoie

Par choix, Daniel Lavoie s’est fait plutôt discret depuis Mes longs voyages, son plus récent album de chansons originales sorti en 2016. Et si en ce moment il semble omniprésent, c’est surtout un concours de circonstances. Humanismes, son troisième recueil de fables, sorti en juin, était prêt depuis deux ans. Et le tout récent album La rivière de cassis, où il chante des textes de Rimbaud mis en musique par Laurent Guardo, est un projet sur lequel les deux hommes travaillaient depuis huit ans ! « Laurent est un fou merveilleux, dit le chanteur. Lui il fait ce projet par passion, moi par plaisir. Et j’adore chanter ses musiques. »

Et que nous disent les mots de Rimbaud aujourd’hui ? « C’est de la poésie, donc ouvert à l’interprétation. Et son langage est toujours aussi beau. Puis certains poèmes, comme Le dormeur du Val, qui parlent de l’absurdité de la guerre, sont encore drôlement pertinents. »

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On ne peut que faire le lien avec sa chanson Ils s’aiment, dont le message est aussi puissant 40 ans plus tard. « Je l’avais écrite pendant la guerre de factions à Beyrouth. Je ne pensais jamais que ça resterait aussi actuel. »

Aujourd’hui en effet, frères et sœurs ennemis se battent en Ukraine. Il soupire en secouant la tête. « C’est l’horreur. J’ai chanté dans les deux pays, que j’aime beaucoup. La guerre n’a jamais apporté de solution. C’est toujours provoqué par des imbéciles absurdes et soûls de pouvoir. »

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Profondeur

Laurent Guardo, dont c’est le deuxième projet avec Daniel Lavoie, ne tarit pas d’éloges à son endroit. « Ce n’est pas juste la voix, dit-il. C’est l’être humain qui a une profondeur, et toute l’émotion qu’il fait passer. »

Le musicien vante son ouverture d’esprit, sa grande culture musicale et son humilité.

La chose que j’adore de lui, c’est qu’il ne vieillit pas ! Et ça, c’est parce qu’il est toujours en train d’avoir du plaisir dans ce qu’il fait.

Laurent Guardo

Du plaisir, Daniel Lavoie en a eu en concoctant le recueil Humanismes, dans lequel il associe une suggestion musicale pour accompagner la lecture de chaque fable. « C’était pour rendre ça ludique ! Et pour qu’on prenne le temps d’aller voir les autres niveaux de lecture. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Daniel Lavoie

Daniel Lavoie a écrit ce livre parce qu’il a l’impression d’avoir « compris tout ce qu’il y avait à comprendre de cette foutue vie », et qu’après des années de quête, il s’est heurté au « mur du mystère ». « Ce recueil, c’est le mur du je-sais-pas. » Et une occasion de partager son regard tendre et amusé sur la condition humaine. « Je voulais que ce soit un livre rassurant, qui fasse du bien. »

Sans contrainte

Six ans après avoir eu de sérieux ennuis de santé (infection pulmonaire) et frôlé la mort, Daniel Lavoie est en pleine forme et « fait ce qu’il faut » pour aller bien. Il écrit tous les jours, mais sans contrainte ni attentes, vit à Bologne en Italie — il compose en ce moment des chansons en italien ! —, et se souhaite simplement d’être « heureux et joyeux ». « Je ne veux rien d’autre. Souhaitez-moi aussi que la guerre en Ukraine finisse. Après, qu’on trouve une solution à notre problème climatique. »

Il rêve d’un monde moins matérialiste et davantage guidé par le cœur. « Plutôt que d’accumuler des choses inutiles, je voudrais que tout le monde écrive des livres, des chansons, fasse de la peinture. Que tout le monde fasse des choses avec ses mains, sa tête, son cœur, au lieu de rechercher le bonheur dans les choses. »