Harry Styles et Billie Eilish, artistes à la popularité incontestée, ont préféré annuler leur concert prévu à Montréal pendant la pandémie plutôt que de le reporter. Les tournées de Kendrick Lamar, Post Malone, The Eagles, Kid Cudi, Lil Nas X, The 1975, Lizzo, Jack Harlow et Iron Maiden contournent elles aussi Montréal, mais font escale à Toronto. Ce phénomène doit-il inquiéter les fans montréalais ?

Les artistes internationaux se concentrent actuellement sur une poignée de métropoles nord-américaines. André Guérette, de Paquin Artists Agency, le confirme. « On a quand même tous été un peu traumatisés par le report des tournées, alors en 2022, on a voulu essayer de mitiger les risques », explique le vice-président de cette agence qui représente quelque 250 artistes à travers le monde, dont Aya Nakamura, Damso et Christine and the Queens.

Au moment de la planification des tournées, qui se fait désormais plusieurs mois – voire au-delà d’un an – à l’avance, « les équipes se sont dit : ‟Pour ne pas mettre en péril une tournée nord-américaine complète, au lieu de faire cinq villes au Canada, on va se concentrer sur Toronto, peut-être Vancouver” », illustre-t-il, rappelant que l’organisation d’une tournée coûte beaucoup plus cher depuis la pandémie.

Mais pourquoi Toronto ? « On devine qu’en ce moment, c’est la stratégie du profit à court terme qui est favorisée par l’industrie, entre autres parce qu’ils ont été sur les rotules pendant deux ans », constate Martin Lussier, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste des questions de culture populaire et d’industries musicales.

Cette stratégie fait en sorte qu’un artiste va aller dans les grands marchés uniquement, créer une espèce de rareté autour des concerts et donc s’assurer que la salle va être pleine pour maximiser les profits.

Martin Lussier, spécialiste des questions de culture populaire et d’industries musicales

C’est le cas d’Harry Styles : la tournée nord-américaine de 44 dates du chanteur britannique fait escale dans seulement cinq villes, soit Toronto, New York, Austin, Chicago et Los Angeles.

PHOTO FOURNIE PAR CBS

Harry Styles se produisant lors des Grammy, en mars 2021

Dans ce contexte stratégique, Martin Lussier soulève une autre piste d’explication pouvant favoriser Toronto. Dans la Ville Reine, l’entreprise qui gère la plupart des salles de spectacles est Live Nation, le plus gros conglomérat de promotion et d’organisation de concerts au monde qui possède des filiales dans des dizaines de pays. Et bien que le Groupe CH ait un partenariat avec ce géant de l’industrie depuis 2019, « on peut présumer que Live Nation va tout d’abord valoriser les concerts dans ses salles, où non seulement il va avoir une part des revenus de la vente de billets [grâce à sa filiale Ticketmaster], mais aussi du stationnement, des kiosques de nourriture, de la vente de t-shirts, etc. »

À Toronto, c’est notamment le cas du History, du Coca-Cola Coliseum et du Scotiabank Arena, l’équivalent de notre Centre Bell, où se sont produits (ou vont se produire) tous les artistes qui ont fait l’impasse sur Montréal.

Pas d’inquiétude chez evenko

En février 2021, le promoteur evenko, qui gère la plupart des salles de spectacles à Montréal, s’était inquiété publiquement que l’incertitude autour des mesures sanitaires changeantes dans notre province nuise à la « marque Montréal ».

Le pire s’est-il donc produit ? Nick Farkas, vice-président, programmation, concerts et évènements chez evenko, assure que les vestiges des restrictions sanitaires ne sont plus un frein pour les artistes internationaux. « On est occupés autant en 2022 qu’en 2019, on voit l’achalandage dans nos salles », assure-t-il. Parmi les grands noms ayant foulé les planches du Centre Bell depuis mars dernier, on retrouve Bad Bunny, Dua Lipa et Greta Van Fleet. On y attend prochainement The Killers, Gorillaz, Stromae et Luke Combs.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Concert de Dua Lipa au Centre Bell, en juillet

Au sujet des autres artistes qui contournent la métropole, les raisons de leur absence ne préoccupent pas outre mesure M. Farkas, même s’il admet que la liste peut sembler importante en ce moment. Il s’agirait d’enjeux de dates pour certains et d’une moins grande popularité sur le marché montréalais pour d’autres. Le « volume incroyable d’artistes » qui tournent en ce moment, après deux ans d’absence, rend en effet complexe l’élaboration d’un calendrier de tournée, confirme André Guérette.

Le vice-président de Paquin Artists Agency se veut toutefois rassurant : « Pas mal tous les artistes sont contents de venir à Montréal. C’est une super ville que tout le monde adore. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour la suite. »

Nick Farkas affirme que la métropole est toujours considérée comme une ville de premier plan pour les tournées. « Il n’y a rien à craindre, on ne perd pas notre position, notre prestige, pas du tout. Les artistes adorent venir à Montréal », insiste-t-il.

Pour 2023, le vice-président d’evenko se dit « très confiant », laissant notamment présager de possibles arrêts de Post Malone et de Kendrick Lamar dans la métropole. Lors d’une nouvelle étape de tournée ou pour un festival ? À suivre…