Sur Contentement, son deuxième album solo généreux en références chaleureusement surannées, la Hay Babies Julie Aubé chante la beauté des objets et des humains élimés par le temps. Nous lui avons donné rendez-vous chez un disquaire d’occasion.

Julie Aubé, comme tout collectionneur de disques, tient une liste mentale des pépites sur lesquelles elle espère tomber lorsqu’elle fouine dans les bacs. Qu’y trouve-t-on ? Ses sourcils se soulèvent. « Il y a beaucoup, beaucoup de choses. »

Mais pour l’heure, la chanteuse aimerait bien mettre la main sur un exemplaire d’Avant d’être dépaysée (1973), album de jeunesse d’Édith Butler. Un Graal dont elle ne fera pas l’acquisition aujourd’hui, conclut-on après avoir inspecté les sections consacrées à la musique québécoise et française, les deux pôles entre lesquels la culture acadienne est trop souvent écartelée.

Née à Memramcook au début des années 1990, Julie Aubé a 10 ou 11 ans (« préado, mettons ») lorsque son père lui offre son premier tourne-disque ainsi qu’un lot de 33 tours triés sur le volet, « du early Rod Stewart, Crime of the Century de Supertramp, du Simon & Garfunkel, du Cat Stevens, du Jim Croce ».

Mais pourquoi son père a-t-il cru que sa fille saurait apprécier pareil cadeau ? La scène se déroule dans le garage familial, dans les semaines d’été suivant le déménagement des Aubé à Moncton. La petite Julie n’y a pas encore d’amis, mais liera bientôt des relations pérennes avec quatre gentils pouilleux prénommés John, Paul, George et Ringo.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Julie Aubé

Mon père a mis une cassette des Beatles, c’était la première fois que j’écoutais un album au complet et j’étais comme : What the hell ? C’était la best musique que je n’avais jamais entendue. C’est là que mon a père a compris que je trippais.

Julie Aubé

Papa Aubé jetait sans le savoir les fondations sur lesquelles sa cadette échafauderait sa propre musique, profondément redevable à Fleetwood Mac, The Band, Joni Mitchell ou Bob Dylan, suspects usuels de disquaires usagés — allez tendre l’oreille aux premières notes de l’irrésistible Pas grand chose, un vol entièrement revendiqué par Julie à l’orgue de Like a Rolling Stone. « Chez nous, on n’écoutait pas la musique populaire de l’époque. Quand j’allais au mall, j’étais comme : Quessé ça, Justin Timberlake ? C’est sûr que je n’étais pas la fille cool de mon école. »

Aimer les mal-aimés

Gratitude. Tel aurait aussi pu être le titre de Contentement, deuxième album solo de Julie Aubé, sur lequel la prolifique autrice-compositrice dresse la liste de ce qui, au jour le jour, nourrit son bien-être. Une liste sur laquelle figurent nombre d’objets élimés, mais également d’humains sur qui les années ont imprimé leur irrévocable et émouvante patine. Elle leur rend hommage dans Deuxième main, ode à la force de tout ce que le temps a joliment lézardé.

« L’usure, le vécu, c’est beau. Il n’y a rien qui me gêne plus qu’une nouvelle paire de sneakers super blancs », avoue en riant celle qui, lorsqu’elle n’est pas en tournée, occupe ses heures, chez elle dans le bois à Memramcook, à confectionner et à raccommoder ses vêtements.

Raccommoder, rafistoler : voilà des gestes que Julie chérit au propre comme au figuré, elle qui émerge de la pandémie avec l’espoir que nous sachions collectivement nous donner des aiguilles et du coton, pour réparer nos cœurs en pièces. Elle parle de sa chanson Watch-toi comme d’« une lettre d’amour à tous ceux qui sont plus difficiles à aimer ».

« S’il y a une chose que j’ai apprise durant les dernières années, c’est l’empathie, la patience pis l’amour », confie-t-elle.

Je trouvais que mes amis pouvaient rejeter rapidement quelqu’un, parce qu’il supporte le convoi des camionneurs ou le Parti conservateur. Vous vous connaissez depuis toujours et tout à coup, vous n’êtes plus chums, parce que vous n’avez pas la même opinion ? Je voyais beaucoup de ça et ça me choquait. On ne devrait pas être si vite à deleter quelqu’un de sa vie.

Julie Aubé

Jeune vétérane du rock acadien, Julie Aubé, 29 ans, dit avoir longtemps eu honte de sa langue. Sa poésie des petits riens, jalousement enracinée dans le territoire de son quotidien, témoigne de toute la vivifiante richesse des différents français parlés dans les Maritimes.

« À l’école, on me montrait Garou et Céline Dion et on me disait : “C’est ça, ta culture.” Et je ne comprenais rien de ce qu’ils chantaient ! Ç’a créé en moi une immense insécurité linguistique, je me sentais stupide. C’était comme si ma façon de parler n’était pas valide. Mais aujourd’hui, les jeunes de 16, 17 ans ont leurs propres artistes comme les Hôtesses d’Hilaire ou le P’tit Belliveau, qui leur ressemblent. Ça donne de quoi être fier. » De quoi être contenté.

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Simone Records