Jeudi soir avait lieu, au Palais Montcalm, à Québec, la création de l’opéra Yourcenar – Une île de passions d’Éric Champagne, sur un livret d’Hélène Dorion et de feu Marie-Claire Blais. Une œuvre d’un indéniable intérêt dont il est évidemment difficile pour l’instant de savoir si elle trouvera son chemin dans le répertoire lyrique.

Il est évidemment ardu d’évaluer une partition à la première écoute, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un opéra mis en scène. Ici, trois dimensions bien distinctes se côtoient : le texte, la musique et l’interprétation.

Le livret écrit par les deux femmes de lettres québécoises se concentre sur des épisodes distincts de l’existence de Marguerite Yourcenar, mettant en lumière les deux grands amours de sa vie états-unienne, soit la traductrice Grace Frick et le jeune réalisateur Jerry Wilson, qu’elle a tous les deux accompagnés dans la mort (l’une d’un cancer, l’autre du sida).

Il est toutefois peu aisé de sentir une vraie tension dramatique dans l’opéra, ce qui se comprend du fait de l’aspect biographique de l’œuvre. Une vie comporte-t-elle, après tout, un enjeu, un fil d’Ariane à suivre impérieusement ? Malgré tout, le texte comprend des moments tout à fait émouvants comme le prologue et l’épilogue, les derniers moments des deux amants, l’évocation de la Seconde Guerre mondiale par le chœur et les disputes que Yourcenar a eues avec Grace et Jerry.

On aurait peut-être attendu plus de poésie de la part des deux librettistes, dont la plume est souvent assez descriptive, voire quelque peu didactique dans certains chœurs narrant les évènements.

La figure de l’ange (les oiseaux comme anges de vie, Daniel, l’amant de Jerry, comme ange de la mort) est une des rares incursions dans le symbolisme.

La musique d’Éric Champagne, dont c’était le premier opéra d’envergure, a semblé avoir déplu à une partie des auditeurs, selon plusieurs commentaires entendus en sortant de la salle. Son langage reste pourtant tout à fait accessible, surtout si on le compare à L’orangeraie, qui a été créé l’automne passé à Montréal et à Québec sur une musique aride de Zad Moultaka.

On évolue dans un monde tout à fait tonal modérément dissonant, avec des notes tenues ou répétées aux cordes dans les passages se rapprochant le plus du récitatif. L’écriture des vents est particulièrement soignée (Champagne est clarinettiste de formation) et concourt à donner du relief au discours.

On retient notamment la scène évoquant le bouillonnement politique des années 1960, où l’orchestre se fait fanfare, un émouvant solo de flûte accompagnant Marguerite et Grace, la complexité chorale de la scène de la réception de l’écrivaine à l’Académie française et la fureur accompagnant les rixes amoureuses. Les scènes de chœur (12 chanteurs) sont également tout à fait réussies.

Les 20 musiciens composant des Violons du Roy élargis sont menés efficacement par le jeune chef Thomas Le Duc-Moreau – qui aurait toutefois pu accentuer les contrastes de tempos – au fond de la scène.

L’orchestre est séparé des chanteurs par une sorte de long banc blanc, couleur qui est celle de l’ensemble du dispositif scénique, essentiellement constitué de quatre immenses stèles placées dans les côtés. Au-dessus de l’orchestre, un écran dispense à la fois les surtitres et d’occasionnelles projections (oiseaux, coupoles de l’Académie, etc.) accompagnant la narration.

Les accessoires sont également réduits un minimum. Seule une malle blanche permet à Marguerite de retrouver le manuscrit de ce qui deviendra Mémoires d’Hadrien. Dans l’ensemble, la mise en scène d’Angela Konrad vise juste par sa simplicité.

Des chanteurs, c’est naturellement la mezzo-soprano Stéphanie Pothier qui s’impose dans le rôle-titre, avec une voix assurée et une concentration de chaque instant. Le baryton Hugo Laporte (Jerry) se distingue par sa voix puissante et moelleuse, tout comme la soprano Suzanne Taffot dans une courte aria évoquant le Vissi d’arte de la Tosca de Puccini. Chapeau aussi à l’émouvante soprano Kimy McLaren en Grace.

Le ténor Jean-Michel Richer (Daniel) et le baryton Pierre Rancourt (un capitaine de bateau) font aussi très bien dans leurs courtes interventions, malgré un volume sonore qui n’est pas celui des principaux solistes.

L’opéra, une coproduction de l’Opéra de Montréal, du Festival d’opéra de Québec et des Violons du Roy, sera rejoué au Palais Montcalm le 30 juillet et à la salle Pierre-Mercure, à Montréal, les 4 et 6 août.