Depuis la création du Festival international de jazz de Montréal en 1980, le trompettiste nous a ponctuellement visités. Entretien avec le directeur artistique du Lincoln Center Jazz Orchestra, qui a grandi avec le festival.

Au défunt Soleil Levant (Rising Sun) au début des années 1980, nous étions témoins, dans cette boîte de jazz et de blues située rue Sainte-Catherine, du premier spectacle des frères Marsalis, Branford – au saxophone – et Wynton – à la trompette – dans la très jeune vingtaine, sans leur mentor Art Blakey. Tellement pleine, la boîte de Doudou Boicel, que nos tables touchaient aux genoux des jeunes Néo-Orléanais sapés comme des princes. Il faisait chaud !

« Oh, man ! je n’oublierai jamais ça ! Je me souviens de gens dont j’ai fait la connaissance ce soir-là et qui sont toujours mes amis », se remémore Wynton Marsalis en visioconférence.

La grande Chapelle du jazz allait accueillir dans ses rangs au moins deux autres jeunes loups affamés, Donald Harrison et Terence Blanchard, des copains de l’école secondaire. « Nous sommes allés à l’école ensemble, dit-il à propos de ce dernier, il a toujours joué du T [c’est ainsi qu’il désigne la trompette] et il a toujours été sérieux par rapport au jazz. »

Une affaire de famille

Son premier concert au Festival international de jazz a lieu en 1982 au Théâtre St-Denis, pendant qu’une série Jazz dans la nuit était instaurée dans de plus petites salles comme le Gesù. On l’a aussi vu avec le collectif VSOP II, toujours rue Saint-Denis. On y allait pour voir Wynton Marsalis, devenu par la suite une grande star mondiale du jazz.

Issu d’une famille de musiciens de La Nouvelle-Orléans, dont le père Ellis, pianiste et compositeur (qui en ravira plusieurs lors d’un mémorable spectacle le 5 juillet 1986 au FIJM), Wynton, sérieux, résistant aux courants de l’époque, est devenu une grande vedette du jazz dans sa définition la plus classique. Imaginez un peu : Louis Armstrong, La Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz, l’évocation est puissante.

À La Nouvelle-Orléans, mon père a eu toutes les difficultés à attirer un public et notre famille n’était pas différente des autres familles de musiciens là-bas. Ce qui a tout démarré pour moi, c’est mon arrivée à New York, alors que je jouais avec Art Blakey [le batteur] et les Jazz Messengers.

Wynton Marsalis

Marsalis habite la Grosse Pomme depuis maintenant 43 ans et ne retourne que très rarement en Louisiane.

« J’ai vu Betty Carter et Woody Shaw et tout ce qui importait pour moi, c’était le feeling du jazz et ne pas être obnubilé par le funk et la pop, des genres que les musiciens de ma génération embrassaient à la fin des années 1970. Quand je suis devenu plus connu, l’opinion des observateurs [sur le jazz classique] n’était pas favorable. La faveur populaire n’était pas gagnée. Ce n’était pas en lien avec ma façon de jouer comme telle, mais plutôt une forme de pression sociale de se conformer à ce que le jazz allait devenir. Et c’est devenu ce que c’est aujourd’hui. Nous nous efforçons de maintenir cette intégrité envers le jazz et c’est difficile. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

De gauche à droite : Ellis Marsalis, Branford Marsalis, Wynton Marsalis, Reginal Veal et Delfeayo Marsalis lors d’un spectacle à la salle Wilfrid-Pelletier en 2003, à Montréal

Selon le directeur artistique du Lincoln Center Jazz Orchestra, l’image un peu romancée du jazz s’est étiolée. Les pionniers, ceux qui garnissaient la programmation du FIJM au fil des ans, nous ont quittés. Même si le LCJO propose une offre à géométrie variable avec sept, huit et neuf musiciens, son concert montréalais en ouverture de la 42e édition se fera avec l’effectif complet de 15 musiciens.

Recherche identitaire

Trouver son propre son sur un instrument, sa propre personnalité, cela demeure, selon Marsalis, le plus grand défi. « Il y a un million de façons de jouer d’un instrument, c’est ce qui fait la beauté du jazz. »

L’enseignant applique aussi ce principe. « Tu ne peux pas exiger d’un étudiant qu’il joue comme Clark Terry [le trompettiste], mais tu peux lui dire : trouve ta voie, find your thing. Le plus grand défi pour un professeur de musique est de ne pas transmettre ou imposer tes propres goûts à tes étudiants. Je me souviens quand [feu] Roy Hargrove était jeune, les plus vieux me disaient que les nouvelles générations étaient toutes pareilles, sans réelle personnalité. »

J’étais en désaccord, Roy Hargrove ne sonne pas comme tous les autres, mais il faut l’écouter sur une longue période pour le constater.

Wynton Marsalis

Coïncidence, son frère Branford, musicien de tournée avec Sting au milieu des années 1980, sera de passage à la Maison symphonique avec l’Ensemble Obiora le 12 août prochain pour interpréter la Fantaisie pour saxophone de Villa-Lobos d’une durée de 11 minutes. Les deux frères ont acquis une certaine sagesse.

À quoi peut-on s’attendre pour cette énième escale ? « We’re gonna be swinging, on va jouer du jazz. »

Que dirait-il aujourd’hui au jeune Wynton de 1983, qui lançait son disque Think of One et qui remporta un prix Grammy ? Learn how to play, man.

Jazz at Lincoln Center Orchestra with Wynton Marsalis le 30 juin, 19 h 30, salle Wilfrid-Pelletier