Il y avait quelque chose dans l’air de différent, samedi soir à la Place des Arts. Une sorte de fébrilité, mêlée de gratitude, que cette forme de beauté fragile, qui ne peut exister que dans une salle de spectacle, reprenne ses droits. Elle l’avouera d’entrée de jeu : Ariane Moffatt a besoin de nous, c’est tout. Ça tombe bien : nous avons besoin d’Ariane Moffatt. C’est comme ça.

Bien qu’elle date de 2015, Debout est une de ces chansons que la pandémie dont nous nous remettons encore aura fait résonner de manière inédite. « Y a quelque chose dans l’air de différent/C’est pas naturel quand tu disparais trop longtemps/Ça manque de sens, j’en perds ma chance/Mon cœur est en carence/Quand ce que je vois/Tu n’es pas là pour le partager avec moi », proclame Ariane Moffatt dans cet hymne à la beauté de la communion amoureuse et amicale, qu’elle offrait en ouverture de spectacle à tous les cœurs en carence réunis dans le confort rougeoyant du Théâtre Maisonneuve.

Et ils étaient de toutes les couches de notre petit monde, de tous les âges, à être venus vivre avec elle cet instant de partage. Élégantes mamies en costumes satinés, gamines en culottes courtes avec papa et maman à la traîne, chums de filles sur le mousseux, jeunes couples aux regards gagas d’amour ; Ariane Moffatt, 20 ans après la sortie de son premier album Aquanaute, est de celles qui transcendent les générations, la Tintin de notre chanson.

Inspiré de son septième album, Incarnat, paru en mars 2021, le tour de chant qu’elle présentait en cette scintillante soirée printanière marquait – étonnement – son baptême de la Place des Arts.

Devant ses parents, ses beaux-parents, ses trois fils, sa blonde et un public qui n’a pas attendu qu’on le lui demande pour se faire entendre, la musicienne s’est installée derrière un piano à queue, avec à ses côtés le quatuor à cordes des Mommies on the Run, accompagné pour l’occasion de six autres camarades, sous la direction de Mélanie Bélair. Dix musiciennes et musiciens en tout, vous l’aurez compris, si vous n’êtes pas trop pourri en maths.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Ariane Moffatt

Après Debout, celle que ses amis appellent Ari aura fait la part belle au répertoire d’Incarnat – 10 des 12 pièces de l’album ont été jouées – en se chargeant à la fois des ivoires et de lancer des boucles (qui enterraient parfois les cordes, c’est triste). « Au nom de la beauté/Pour un peu de vérité », répétait-elle dans Beauté, la chanson manifeste de ce cycle créatif explorant la fibre des liens filiaux sur des musiques hypnotiques, cousines du néoclassique. Et la vérité, c’est que nous nous laissions bercer volontiers.

Tout en douceur

Lumière. Bienveillance. Amour. La soirée se déroulera de la première à la dernière note sous le signe d’une euphorie douce et prudente. Une euphorie pleine de cette vulnérabilité qui est la nôtre depuis que nous devons réapprendre la joie de se retrouver tous ensemble dans un même lieu, à s’ouvrir le cœur en chœur.

Invité à la rejoindre sur scène pour tenir le rôle de Lou Doillon dans Jamais trop tard, Étienne Coppée (ou Étienne Copain, comme l’a surnommé Ariane) avait les yeux pleins de feux de Bengale.

« On pleurera ensemble des larmes de joie », chantait un peu plus tôt le jeune et hirsute auteur-compositeur, sorte de Serge Fiori qui aurait signé chez Motown, durant sa touchante et joliment maladroite première partie, qui a manifestement fait bien des convertis – son spectacle de samedi prochain en extérieur est déjà à notre calendrier. On pleurera ensemble des larmes de joie ? Environ une heure plus tard, pendant leur duo, ça y était : la prédiction de Coppée se vérifiait.

En se tournant vers le répertoire de ses albums Tous les sens (2008) et MA (2012) en fin de concert, Ariane Moffatt investissait du même coup la piste de danse, troquant son piano pour des claviers et des séquenceurs, le temps d’une fructueuse synthèse entre textures électros et cordes, qui se doublait aussi d’une synthèse de l’arc-en-ciel de couleurs que contient son œuvre, d’une richesse telle que personne ne lui en voudra d’avoir laissé de côté plusieurs de ses classiques, un luxe que permet l’abondance.

« Tu fais partie de mes raisons d’aimer la vie », proclamait-elle en entonnant son succès Miami, dédié juste avant le rappel à son ami Karim Ouellet – elle sera d’ailleurs de la veillée hommage au défunt créateur de L’amour ce dimanche sur la place des Festivals. En une heure de chansons caressantes comme la forêt de plumes roses qui se dressait derrière elle, Ariane Moffatt nous aura rappelé que la musique n’est pas la moindre des raisons d’aimer la vie.