Une harpe et un violoncelle : une rencontre improbable ? Valérie Milot et Stéphane Tétreault, deux piliers de la scène classique québécoise, prouvent le contraire avec Transfiguration, programme audacieux sorti récemment chez ATMA, présenté à la salle Bourgie les mercredi 25 et jeudi 26 mai.

« On l’a appelé Transfiguration parce que c’est un peu l’expérience que le spectateur peut avoir en écoutant de la musique en général, mais surtout à cause du fait que dans ce projet, on peut vivre une certaine métamorphose, tant par les différents thèmes et variations que par l’utilisation des harmonies et par le contexte historique et visuel », détaille le violoncelliste Stéphane Tétreault, qu’on a entre autres pu entendre en solo avec I Musici l’hiver dernier.

Car il y en a autant pour l’oreille que pour les yeux dans ce programme principalement composé d’œuvres contemporaines que les deux artistes qualifient de « concert-expérience ».

« On ne se cachera pas que jouer de la musique contemporaine, ça peut effrayer certains diffuseurs, concède la harpiste Valérie Milot. Mais les gens en général embarquent beaucoup et sont pas mal interpellés. C’est de la musique qui est très vivante, qui implique beaucoup l’auditeur. La petite couche de visuel qu’on ajoute, c’est juste pour développer encore plus l’engagement du public. »

La mise en scène et les projections conçues par les jeunes musiciens et leurs collaborateurs viennent appuyer la musique sans s’y substituer.

« C’est important que ça ajoute quelque chose aux œuvres, mais que ça ne devienne pas si imposant qu’on perde le fil, concède Stéphane Tétreault. Même si on enlève les projections et tout, ça reste une musique qui parle beaucoup et qui raconte une histoire. »

« C’est une sorte d’illustration de notre amitié et de notre collaboration à travers les 10 dernières années, et aussi de la manière dont deux personnes peuvent s’apprivoiser à travers la musique et la vie de tous les jours », précise le violoncelliste.

« C’est un peu l’apothéose de notre collaboration, poursuit ce dernier. On a commencé lors d’un lancement de disque où on nous a jumelés et, finalement, on a fait beaucoup de concerts en duo et en trio. En 2019, on a commencé à faire un gros brainstorm. Et trois ans plus tard, on a le plaisir de la présenter au public. »

Mais le répertoire pour harpe et violoncelle ne court pas les rues.

Deux solutions s’offraient alors au duo : la transcription ou la création. Avec un fil conducteur : pas question de considérer le violoncelle comme un instrument solo accompagné par la harpe. Le duo Milot-Tétreault réunit deux partenaires à part entière.

Seule concession au répertoire traditionnel : l’incontournable Cygne tiré du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, qui est l’occasion d’un commentaire musical du compositeur québécois Alexandre Grogg, D’un cygne l’autre, qui évoque aussi Gibbons, Sibelius et Barber.

C’est une autre œuvre de Grogg qui ouvre le disque, les Trois variations sur La Folia, originellement écrite pour ensemble jazz. Celles-ci — comme la transcription de Cogs in Cogs de Gentle Giant — font intervenir le batteur Bernard Riche, présent aux concerts de manière virtuelle.

François Vallières, qui signe la transcription pour violoncelle et harpe de Cogs in Cogs, y va de sa propre contribution avec un Double-Monologue sous-titré « Divertissement sanitaire » composé durant la pandémie.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Stéphane Tétreault et Valérie Milot

S’y ajoutent Close for Couloir, composition originale de 2013 de Caroline Lizotte, ancienne professeure de Valérie Milot, et deux pièces commandées aux réputés compositeurs canadiens Kelly-Marie Murphy et Marjan Mozetich, respectivement Si veriash a la rana, dont la musique est tirée d’un concerto pour harpe et violoncelle déjà interprété par les deux complices à Trois-Rivières en septembre 2020, et Sentiment transfiguré, qui puise quant à lui dans l’opéra Madama Butterfly de Puccini.

Des résidences avec certains de ces créateurs pendant la pandémie ont permis à Stéphane Tétreault et Valérie Milot de faire partie du processus créatif. Un contact que cette dernière a trouvé tout simplement « trippant ».

« On peut davantage aiguiller ses interprétations en travaillant avec un compositeur », raconte celle qui enseigne au Conservatoire de musique, ajoutant que sa propre activité de pédagogue s’en trouve renforcée. « Ça m’a fait beaucoup réfléchir à comment on aborde des œuvres historiques. On a tendance quand on pense à Claude Debussy, par exemple, de le voir comme un monument, mais en fait, c’est un être humain qui a évolué au cours de sa vie. »