Sylvie Paquette n’avait pas sorti d’album depuis 2016, le très beau Terre originelle, dans lequel elle avait mis des poèmes d’Anne Hébert en musique. La revoici avec Je resterai tout près, qui parle de deuil et d’absence, mais surtout, de lumière et de vie malgré la douleur de la perte.

Il y a deux ans, Sylvie Paquette a perdu son amoureuse, Lyne, emportée à 56 ans par un cancer fulgurant. Pendant un an, à partir du diagnostic reçu à l’automne 2018, la chanteuse l’a accompagnée, de l’espoir des traitements jusqu’aux soins palliatifs et à son dernier souffle. « C’était très confrontant, mais ç’a été beau jusqu’à la fin. Assister à ça, ce n’est pas de la frime : c’est la vie. »

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Je resterai tout près est un hommage délicat et sophistiqué à cette femme qui aimait la beauté et le jazz. Mais c’est surtout le témoignage d’une expérience intense, que Sylvie Paquette a réussi à transcender pour en faire quelque chose d’universel – pas question d’« éclabousser les autres » avec son « je », mais plutôt de faire partager une émotion vraie.

C’est vraiment un disque hommage à la vie. À la résilience, aux épreuves, à l’absence, et à la présence malgré l’absence. Je voudrais qu’on retienne ça de ce disque : ce qu’on peut perdre, ce qui reste quand même.

Sylvie Paquette

Le résultat est doux et enveloppant, empreint de lumière. « Avec tout ce qui se passe, la pandémie, la guerre, on a besoin de ça, de douceur. » Et de profondeur aussi : c’est ce qu’elle recherchait après avoir vécu une expérience aussi grave et unique. C’est ce qu’elle transmet dans ce minialbum de six chansons, dense et concentré.

« C’est vraiment une bulle. Plutôt que de faire dix chansons, j’ai tout mis dans six. »

Aux quatre chansons originales, complètement en lien avec le propos, se greffent ainsi un inédit d’Anne Hébert, Il fait sûrement beau quelque part, qui serait son ultime poème écrit avant sa mort, et une interprétation de Ton visage de Jean-Pierre Ferland.

Cet album est le septième de la discrète autrice-compositrice-interprète, dont le premier, Soul propos, est sorti en 1993. Son rythme a toujours été plutôt lent, donc, mais elle admet que six ans entre deux albums, c’est beaucoup.

« Je ne suis pas trop rapide sur la gâchette ! Comme Pierre Flynn. On réfléchit beaucoup avant de se commettre. »

Il faut dire que cette fois-ci, la vie s’est mise de la partie, avec la maladie, puis la pandémie… Mais les musiques ont recommencé à « monter » peu à peu, et chaque texte est arrivé comme un cadeau. Celui de Daniel Bélanger, de Claire Gaucher, de Stéphane Blanchette, même le sien, Le projecteur, qui est monté « d’un jet ».

« Le texte, les accords, la musique… Je l’ai écrite en deux jours. Je me suis dit : Lyne me fait un cadeau, elle m’a donné des mots pour lui parler. »

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Les collaborateurs se sont greffés peu à peu. Des nouveaux, comme François Richard au piano et à la réalisation, José Major à la batterie, Beyries pour une musique. D’autres sont revenus, comme Guillaume Bourque à la clarinette et Philippe Brault à la basse. Une fidélité dont elle est fière.

« C’est ce qui est beau dans exister, et durer, et continuer. Et essayer de faire de belles choses. »

Vérité

Après Terre originelle en 2016, la chanteuse s’était dit que si c’était son dernier album, au moins, elle le trouvait magnifique, raconte-t-elle en riant. Mais malgré les nouvelles réalités de l’industrie et la relève qui pousse, « il n’y a pas de retraite pour un créateur ».

« J’ai aussi des projets pour 2023, pour les 30 ans de mon premier album, un best of et un spectacle. Je vois un peu d’avenir. »

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Être artiste, ajoute-t-elle, est bien loin de ce que le vedettariat laisse miroiter : c’est écrire des chansons, creuser le sens, trouver sa singularité, travailler sa voix. La sienne, au timbre si particulier, est d’ailleurs bouleversante d’émotion contenue sur cet album.

La voix continue d’évoluer, la vie nous traverse, et ça s’entend. Il y a une richesse, une résonance qui est plus grande. Les mots… tout pèse plus.

Sylvie Paquette

Elle raconte qu’en studio, sa voix a un peu cassé d’émotion en chantant le dernier mot du Projecteur. Mais ses larmes ont surtout coulé en écrivant.

« Quand je chante Ton visage, je pense à ceux qui vont l’écouter. Je me branche sur plus grand que moi. Je veux vous atteindre quelque part où on ne veut pas aller, où il y a de l’émotion, du vrai. » Et pour ça, pas le choix d’ouvrir son cœur. « J’ai toujours été comme ça, vraiment, une interprète à cœur ouvert. »

Aujourd’hui, Sylvie Paquette va bien. Elle a quitté Magog, où elle habitait avec son amoureuse, pour s’installer près de Québec et du fleuve. « Je me suis beaucoup accrochée à ça, ça m’apaise beaucoup. »

Avec la sortie de cet album, elle parle aussi, pour la première fois depuis le début de sa carrière, de son orientation sexuelle. Quand elle regarde les jeunes artistes d’aujourd’hui qui s’affichent ouvertement, elle est émue.

« Je trouve ça beau. Les mentalités évoluent. Je n’ai jamais trop parlé de ça parce que je ne voulais pas être associée à un drapeau. Ça m’a pris un choc pour dire ces mots, mon amoureuse. Mais la meilleure chose est d’être soi-même, de dire ce qu’on a envie de dire. »

Pendant tout le printemps, Sylvie Paquette assurera la première partie de la tournée de Daniel Lavoie. C’est exactement ce qu’elle voulait : faire vivre ses chansons sur scène, et atteindre le plus de gens possible.

« Je voudrais qu’elles fassent du bien à ceux qui les entendent. J’ai fait cet album parce que j’en avais besoin, mais maintenant qu’il existe, si ça n’a pas de résonance, ça n’a pas de sens. »

Je resterai tout près

Chanson

Je resterai tout près

Sylvie Paquette

Audiogram